L’écologie n’existe pas

L’écologie n’existe pas !

En tant que discipline délibérée et volontaire, l’écologie n’a jamais existé auparavant , n’existe pas aujourd’hui et sans doute n’existera pas demain.

Auparavant
Le mot écologie est apparu pour la première fois en 1866, significativement en plein essor de la révolution industrielle du XIXème siècle, sous la plume du visionnaire allemand Ernst Haekel qui en avait perçu les risques et prônait le principe de précaution pour endiguer ses méfaits présents et surtout futurs à ses yeux prévisibles.
Sans la nommer, l’écologie s’imposait d’elle-même à la grande  majorité  de la population. A cause de l’impossibilité de faire autrement, elle l’appliquait sans le savoir. La lutte pour assouvir les besoins vitaux occupait toute la place; déjà bienheureux quand on avait la chance de les satisfaire. Le pouvoir d’achat et ses corrolaires possibles: surconsommation et gaspillage, étaient réservés à une toute petite élite. De toute façon la technologie industrielle n’était pas encore suffisamment développée pour produire en masse et ainsi se généraliser masquant, à côté de progrès indéniables, ses méfaits désastreux dévoilés au fil du temps.

Aujourd’hui

L’écologie assumée et réfléchie n’existe toujours pas , sauf pour une poignée de militants lucides qui prenant conscience de l’empreinte humaine grandissante et alarmante sur notre milieu de vie, travaillent à essaimer leur conviction (” Pour changer la société, nous devons être des millions, pas une poignée de radicaux “- Cyril Dion) sans cependant vouloir l’imposer, ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens. Et même s’ils le pouvaient, ils n’en auraient pas le droit. Leur prosélytisme s’ apparenterait à du terrorisme économique, comme au temps du colonialisme où le goupillon du curé secondait le sabre du militaire et l’argent du commercial. C’est aux politiques élus démocratiquement qu’est dévolu ce droit d’imposer ce changement indispensable, mais bon nombre d’entre eux, en accointance étroite et intéressée avec les puissances d’argent et(ou) par crainte de déplaire à leur électorat et de perdre leurs privilèges, s’ abstiennent de légiférer drastiquement.

L’augmentation progressivement généralisée du pouvoir d’achat a engendré un appel d’air à la consommation forcenée, aiguillonnée par les achats sur internet, au point de franchir la ligne rouge de la réversibilité. À la fin de la 2ème guerre mondiale, particulièrement  durant les 30 années glorieuses et surtout depuis les années 80 avec la dérégulation économique initiée par le duo Reagan-Tatcher, nous avons cherché  à imiter le mode de vie des Américains et nous avons perdu le sens de la mesure et de la pondération, seules capables de recouvrer l’équilibre indispensable à notre survie. La prudence aurait été nécessaire pour compenser les excès de cette situation. Pourquoi un effort de volonté précédé d’une prospective imprégnée de bon sens et de discernement ne permettait pas de faire l’économie d’expériences désastreuses ? Parce que, après tant de décennies de privation, la population était avide de goûter à l’abondance enfin accessible. Elle n’envisageait pas les pièges tendus par les revers de ce retournement et n’accordait pas (elle ne le fait toujours pas) droit de cité à l’écologie; parce que la modération est considérée comme une privation, même pour un bien supérieur futur; parce que nous pensons échapper à l’inéluctable; parce que nous aveugle notre confiance en la science salvatrice, la nouvelle religion mondialiste ; parce que nous taraude, exhumée peut-être de notre mémoire collective ancestrale, la peur de manquer qui nous pousse à profiter de la vie au maximum ; parce que l’on attend que l’exemple vienne des autres et avant tout d’en haut ; et surtout parce que nous manque cet embryon de sagesse qui nous inciterait à recentrer notre vie autour de l’essentiel (à définir par chacun), à la densifier, à considérer que le bonheur n’est pas antinomique d’un certain détachement matérialiste volontaire. Il est inenvisageable après un tel constat de prétendre passer de l’intempérance à la modération, de la compulsion boulimique à la sobriété, de la dépendance aliénante à l’autonomie libératrice, de la compétition neo-libérale destructrice à la convivialité constructive, de l’accaparement personnel des richesses à une redistribution solidaire, de la croissance matérielle, toujours l’indice obsessionnel de référence économique des décideurs qui y croient comme dans un acte de foi, à la croissance ordonnée aux nécessités des plus pauvres, combinée chez les riches à une décroissance acceptée ou si pas à une acroissance satisfaisante.  Repousser l’échéance d’une intervention douloureuse mais nécessaire ne l’annule pas.

Humainement peut-on cependant reprocher à ceux qui galèrent au milieu de tant de richesses étalées et des chants ensorceleurs des sirènes du consumérisme facile, d’y croire et de chercher à y accéder avant tout par l’acquisition de biens matériels, sans soupçonner le piège tendu? Et ce n’est pas l’inertie et encore moins  l’irresponsabilité des autorités dites compétentes, masquées par des discours anesthésiants et des mesures faussement rassurantes, qui vont leur montrer qu’ils font fausse route. La conscientisaton aurait pu émerger du rayonnement éducatif indirect des exemples réussis des initiatives citoyennes et de ” l’économie communaliste” à haute valeur sociale et démocratique, qui n’est ni communiste, ni communautariste et qui concerne, pêle-mêle et parmi bien d’autres, les systèmes d’échange local, les coopératives de petite, moyenne ou même de de grande taille ( comme celle de Mondragon en Espagne), les groupes d’achat en commun, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, le commerce équitable, etc. Ces démarches dont l’ampleur s’accroît peu à peu restent encore trop marginales pour détourner les esprits du système actuel dispendieux qui ravit l’ensemble de la population .

Presque tous les scientifiques spécialistes du climat nous donnent tout au plus 10 à 20 ans pour réagir énergiquement, après ce sera trop tard. Comment peut-on imaginer qu’un tel bouleversement puisse avoir lieu en si peu de temps, alors que responsables à 99% du désastre écologique, les pays nantis continuent à vivre comme si de rien n’était: surproduction, surconsommation ( de plus en plus grands, les cargots porte-conteneurs sont toujours pleins à rabord), gaspillage, déplacements, voyages, tourisme, et à voter pour des gouvernements qui entretiennent cet état d’esprit de permissivité débridée, à peine tempéré par très peu d’interdits ou d’obligations et beaucoup d’incitations, non contraignantes, à poser des gestes respectueux de l’environnement. qui ne changeront pas en profondeur un système économique, avec à sa tête les voraces multinationales, ses plus “dignes” représentants, que les politiques veulent sauvegarder â tout prix, même au détriment de l’écologie. Écologie que Trump, climatosceptique notoire, piétine allègrement, lui qui risque fort d’être réélu président des USA en novembre prochain malgré un bilan écologique catastrophique lors de son précédent mandat.

Demain

Même si dans quelques décennies la grande majorité de la population des pays riches prenait conscience de la réalité de la catastrophe imminente,  pourtant annoncée depuis si longtemps, il serait trop tard pour faire marche arrière et inverser la tendance. Sècheresse, mégaincendie, montée des eaux, côtes et îles inhabitables, inondation, air, eau et sol pollués, déforestation, dérèglement climatique, effet de serre, réchauffement de la stratosphère, déchets de tous ordres: miniers, nucléaires, plastiques, électroniques, alimentation frelatée, perte considérable d’humus, monoculture stérilisante,  extinction de nombreuses espèces animales et végétales, élimination progressive des insectes et des pollinisateurs, raréfaction de l’eau potable, biodiversité durablement affaiblie et menacée de partout obsolescence programmée. Toutes ces destructions irréfragables et quasi irréversibles dans tant de secteurs nous conduiront à la barbarie torturante d’un survivalisme de plus en plus violent au fur et à mesure de l’amenuisement drastique des ressources, qui à terme aboutira à l’anéantissement du vivant victime d’un capitalisme dévastateur, incompatible avec l’écologie.

Si le capitalisme accélère le processus de cette descente aux enfers avec son invitation permanente et insistante à la surconsommation et au gaspillage, favorables en priorité à ses investisseurs et actionnaires monstrueusement riches et insatiables dans leur recherche de l’augmentation de leur capital, on ne peut s’empêcher de penser que les civilisations disparaissaient bien avant son intronisation comme système économique. “La destinée naturelle de toutes les civilisations est de grandir, de dégénérer et de s’évanouir en poussière” (Alexis Carrel). Mais par le passé, les civilisations humaines qui disparaissaient, bien localisées, n’entraînaient pas dans leur chute le reste du monde. Ici oui, à cause de la mondialisation, on assistera à la 6ème extinction de l’Histoire, la première et sans doute la dernière de l’homme, responsable et en même temps victime du phénomène, depuis l’avènement de l’anthropocène et sa montée en puissance. En fait on est en présence d’un suicide programmé déguisé en catastrophe naturelle, naturalité non reconnue ou si peu  car on dissocie quasi toujours l’homme de la nature alors qu’il en fait intégralement partie. Le fait qu’il en est l’élément dominant à cause de son intelligence productrice d’une techno-science et d’une industrialisation avancées ne change rien à la donne. ( pour une explicitation de cette idée, voir dans le blog l’article ” Et si la 6ème extinction était aussi naturelle que les précédentes!”).

L’homme s’est toujours ingenié à s’autodétruire. À l’image du récit caricatural de Jonathan Swift dans son “Gulliver” chargé de régler un conflit entre 2 pays voisins sur la façon d’écailler un oeuf, l’un le faisant par le gros bout et l’autre par le petit, avec la volonté de l’imposer à l’adversaire par la force, l’Histoire est pleine de ces guerres au motif futile, défiant le simple bon sens.  Illustration récente avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie sous le prétexte fallacieux de dénazification .On en rirait s’il n’y avait pas son volet tragique de pertes matérielles et humaines inhérentes à toute guerre et même le lourd tribut payé par l’agresseur en soldats morts au combat.  Ce qui n’a pas l’heur d’émouvoir le nouvel Hitler, Poutine, autocrate à l’orgueil démesuré,  qui brandit même l’utilisation de l’arme nucléaire s’il se sent menacé par les puissances occidentales, déclencherait la 3ème guerre mondiale et par voie de conséquence entraînerait  l’anéantissement de son propre pays et de ses habitants. Suicide par un canal plus rapide et radical que la lente érosion de notre milieu de vie décrit plus haut.

Soumis à leur instinct, boussole indéréglable, les animaux ne tuent leurs congénères que par nécessité: nourriture , habitat, protection de leur progéniture, terrain de chasse,  défense territoriale  garante de ressources indispensables à leur survie. On cite comme exemple  la faculté de carnivores prédateurs qui repus acceptent, certes le temps de leur digestion, la présence à leur côté d’herbivores, leurs proies habituelles, sans chercher à les attaquer. Cependant peuvent parfois survenir des agressions à nos yeux  “gratuites”,  qui obéissent sans doute à un instinct malveillant de domination ( ex: agression mortelle d’un molosse étiqueté dangereux sur un petit chien).

Pourquoi ces violences?

Antinomiques dans notre conception occidentale, le bien et le mal apparaissent complémentaires dans d’autres  civilisations, à l’image du jour et de la nuit ou du chaud et du froid. L’un n’existe pas sans l’autre. Les 2 sont nécessaires. Le mal, défini comme tel par notre conscience dans l’ignorance des Desseins Supérieurs ne donne-t-il pas un ou tout son sens à la vie qui peut-être réside dans ce besoin irrépressible, sauf déviance, de le combattre (les sempiternels happy ends des fictions littéraires et cinématographiques ravissent toujours autant lecteurs et spectateurs )? La récurrence des guerres et des conflits, aussi naturels que des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre, plaide en faveur de sa légitimité et crédibilise l’existence de tous les Hitler passés, présents ou futurs. Tout dans la nature est recherche d’équilibre par le comblement des manques et le rabotage des excès. L’amplification actuelle, à nos yeux chaotique, du déséquilibre écologique n’altère en rien sa naturalité et ne révèlerait en fait qu’une accélération du processus  d’harmonisation. De passagère, ponctuelle, conjoncturelle avant, cette dérégulation se veut aujourd’hui permanente, universelle, structurelle. Dès lors sont réunies les conditions objectives d’une déflagration endogène totale, à l’opposé des peurs ancestrales d’une eschatologie aux causes imaginaires, superstitieuses, religieuses ou surnaturelles.

L’homme n’a-t-il pas été programmé pour devenir son propre prédateur et, arrivé à un degré de saturation, s’autodétruire ? Ou, comme le suggèrent les tenants de la théorie Gaïa, pour permettre une autorégulation de la Terre, organisme vivant, qui cherche à recouvrer la santé par l’excrétion de son cancer: l’homme.

Primauté donc à la recherche de la vérité. Mais rien de plus volatile, d’impalpable, d’imperceptible que cette introspection dans les arcanes de cette vérité métaphysique, ontologique, existentielle qui brouille les pistes, dissimule des indices et oblige à tâtonner à la manière d’un aveugle pointillant le sol avec sa canne. Pas de discours étoffé, que des bribes ou lambeaux de phrases ! Pas de feu flamboyant, que de timides étincelles ! Pas de souffle puissant, que d’étroites expirations ! La vérité est inaccessible à l’esprit humain, affirmait Montaigne. Elle ne se pense pas, ne se réfléchit pas, ne se démontre pas, ne s’argumente pas. Elle se vit, se sent, se respire. Dans la presque ignorance, le contraire de l’intelligence . Auquel cas s’équivaudraient le comportement collectif instinctif  non élucidé, identifié  comme  un suicide, d’animaux se jetant du haut d’une falaise ou s’échouant sur la plage et celui “intelligent” de l’homme comme celui des vieux indiens ou esquimaux se laissant mourir volontairement  pour assurer la survie du groupe ? La théorie de l’évolution avalise l’animalité de l’homme. À l’opposé des créationnistes qui sont à l’espèce ce que les suprémacistes sont à la race, les antispécistes revendiquent notre pleine et entière appartenance au règne animal au point de nommer l’homme “l’animal humain” et l’animal “l’animal non humain”. “On n’est pas des bêtes quand même ” proteste-t-on généralement comme pour échapper à une infâmie. Eu égard au développement de notre cerveau et de nos facultés mentales qui constituent à nos yeux une avancée remarquable, certes en partie réelle, nous nous sommes attribué le mérite de monter(!) d’un échelon dans l’échelle évolutive et de créer une catégorisation nettement différenciée de la précédente. Cette supériorité étalonnée n’oblitère cependant en rien notre naturalité. Ce serait un peu vite oublier les lois de l’évolution. Fustiger le comportement antinaturel de l’homme au prétexte que l’intelligence humaine, prolongement de l’instinct, et sa production n’appartiendraient pas au même ordre des choses, est aussi absurde que reprocher le vivant du végétal par rapport à l’inertie du minéral ou la mobilité de l’animal par rapport à l’mmobilité du végétal.

Tout est cycle (dérivé du mot cercle ,figure géométrique aboutie et parfaite de la nature) . L’homme y est soumis au même titre que la nature dont il fait partie et notamment au plus marquant: celui de la naissance, de l’évolution et de la mort. Aussi il n’est pas trop présomptueux de croire que se font jour les signes (subjectifs certes, mais…) de l’amorce du cycle de son achèvement et du retour à son origine comme si la boucle était bouclée dans différents  domaines et d’abord  géologique avec cette menace de changement climatique qui, à terme, génèrerait, comme à sa genèse, le recouvrement de la Terre par l’eau ou l’extension des déserts. Avec peut-être  les bactéries survivantes prêtes à nouveau à repeupler la planète… si elle existe encore!

La croissance des fausses croyances menace-t-elle l’Humanité ?


À défaut d’indices formels attestant son authenticité, toute croyance est fausse. Cet aphorisme contient autant de (mal)chances de vérité que son antonyme puisque sans preuves factuellement avérées, ces assertions s’équivalent en probabilités. Pas besoin cependant d’attendre la caution scientifique pour ancrer nos convictions dans notre champ de vérité. Ce n’est pas parce que les églises se vident qu’il faut s’inventer une nouvelle religion : la science. Il y a place, dans une cohabitation pacifique et respectueuse, pour les deux postures : la conviction spéculative et la science exacte, sans empiètements ou accaparements abusifs de l’une sur l’autre. Le Dalaï Lama affirme ne plus croire en la réincarnation le jour où une solide argumentation scientifique le convaincra de l’inanité de sa croyance.

La croyance à la récurrence envahissante s’impose d’ailleurs par la réalité. L’ensemble de notre vécu n’est-il pas empreint d'”actes de foi” ? Depuis la confiance accordée au conducteur qui me véhicule jusqu’à la fidélité amoureuse promise au conjoint en passant par la conviction de prendre plaisir à un spectacle parce que crédité d’une critique élogieuse. C’est grâce à sa foi en lui, en la vie, en l’avenir que l’homme échafaude des projets et qu’il rêve éveillé. No Future pour le dépressif : il a perdu la foi.

 Naïveté cependant que de tout concentrer sur cette notion. Dans bien des situations, la codification sociétale (usages, coutumes, réglementations, codes, lois…) précède la confiance, la conforte, la renforce et même parfois s’y substitue. Ne dénonce-t-on pas à la vindicte populaire un homme sans foi, ni loi ? Les deux associés en une étroite imbrication. Dans de nombreux domaines, pas de foi sans loi, pas de loi sans foi. La loi pour cimenter la cohésion sociale et la foi dans la valeur protectrice de la loi et ses applications respectueuses et respectées, sinon pas de vie commune (dans les 2 sens : courante et collective) réussie. 

En ces temps de sacralisation de l’argent, il faut savoir que la qualité d’une monnaie repose uniquement sur la confiance qu’on lui accorde. J’y crois parce que tout le monde y croit. C’est aussi parce que la monnaie est garantie par la loi (l’effigie du premier représentant de la nation rassure) qu’elle a pu se substituer au troc et constituer un ordre économique, le premier à tendre vers l’unification de l’humanité bien avant tous les autres ordres: politiques, religieux, culturels… . En dépit de toutes leurs divergences, leur foi commune aux pouvoirs et aux valeurs de l’argent réunit des communautés qui ne s’entendaient sur presque rien. Ce qui explique en grande partie le triomphe du capitalisme sur ses adversaires, mais aussi sa condamnation inéluctable : on ne construit pas pérenne sur des fondations aussi mercantiles, sans humanisme compensatoire. 

Le faux aussi naturel et nécessaire que le vrai 

D’où vient cet ancrage si prégnant des convictions et croyances qui gouvernent notre vie? Quelle grille de lecture appliquer pour tenter de distinguer les vraies des fausses qui font florès ces temps-ci ? 

Le nombre d’adhérents, comme par rapport à l’argent qui réunit le monde entier ? Pas sûr du tout (“Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison” Coluche). L’ancienneté, comme les religions et traditions séculaires? Les indices de faits avérés, comme les accidents survenus dans les centrales nucléaires et le risque gravissime de la non-gestion actuelle et sans doute pour longtemps des déchets radioactifs qui font rejeter définitivement cette énergie du diable? L’intuition comme le monde immortel des Idées de Platon existant en dehors de l’homme, auquel il fait référence pour trouver le Bien, le Beau, le Vrai, le Juste (‘ L’intelligence prouve ce que l’intuition trouve” Einstein)?

Peu importe après tout qu’elles soient vraies ou fausses; l’important, c’est qu’elles existent, car le faux est aussi naturel et nécessaire que le vrai.

Le faux naturel? La nature est totale, indivisible, omniprésente, omnipotentente, sans contraire; donc ni l’artifice, ni la culture, ses antonymes habituellement cités, ne lui sont opposables, elle les englobe comme produits d’un de ses composants: l’homme. La ville est aussi nature que la fourmilière, le plastique autant que le bois, le sucre chimique  autant que le miel. Les zadistes de Notre Dame des Landes criaient haut et fort : “Ce n’est pas la nature que nous défendons, nous sommes la nature qui se défend”. 

Le faux nécessaire? Antinomiques dans notre conception occidentale, le bien et le mal apparaissent complémentaires dans d’autres  civilisations, à l’image du jour et de la nuit ou de la vie et de la mort. L’un n’existe pas sans l’autre. Le mal défini comme tel par notre conscience dans l’ignorance des Desseins Supérieurs et que nous nous devons de sans cesse combattre, ne donne-t-il pas un ou tout son sens à la vie ? Le faux, composante du mal, n’alimente-t-il pas le débat public (point de vue développé plus loin)?  

Le faux débridé 

Amplifié par les réseaux sociaux et des populistes haut placés, le faux avance effrontément à visage découvert. “Dans un monde inversé, le vrai est devenu un moment du faux”. Si déjà dans les années 70 dans “La Société du spectacle”,  Guy Debord dénonçait la primauté du faux qui laissait peu de place à la vérité, quelle formule encore plus implacable (il s’est suicidé en 1990) employerait-il pour définir la prolifération exponentielle des fake news et ses conséquences sur les convictions qu’elle engendre?

Croyance, conviction et foi à des degrés divers tournent autour de concepts assez proches malgré des nuances y afférentes : il est question de certitudes subjectives basées sur des preuves invérifiables comme dans le domaine religieux, idéologique ou philosophique ou sur des éléments factuels partiels jugés suffisants pour se faire une opinion. Dans les 2 cas, le doute est permis, contrairement aux vérités objectives incontestables eu égard aux faits avérés où l’incertitude est exclue. Sont considérées comme fausses les croyances qui nient l’évidence de la réalité reconnue. Leur accumulation actuelle est inquiétante dans le sens qu’elles engendrent une relativité dommageable : tout s’equivaut, plus de hiérarchie de bon sens, l’important n’a plus la primauté,  et  aussi une absence de repères, de jalons protecteurs dont on ne peut se passer si on veut contrôler un tant soit peu l’orientation de notre vie. Tout ceci est bien dans l’air du temps. On recule encore plus les frontières d’une permissivité déjà fort débridée. Ce débridage risque à terme de rendre la société incontrôlable. En effet un minimum de consensus est indispensable pour vivre ensemble avec le moins de heurts possibles. Niées à ce point, les évidences stabilisatrices font place à une suspicion permanente. Et si en plus, cerise toxique sur le gâteau, le chef de l’Etat, affabulateur irresponsable comme Trump, diffuse ses messages empoisonnés à la grosse louche, on ne mesure pas les dégâts occasionnés pour longtemps au niveau sociétal (70 millions d’Américains lui font confiance !). 

La vérité inaccessible 

Primauté à la recherche de la vérité. Mais laquelle ? Peut-on se contenter de celle des affaires, des prétoires, des médias, des culturels ou même du quotidien routinier sans la complémenter et même la faire précéder, en préalable impératif et injonctif, de la quête de sens de nos démarches, de nos orientations ? Mais rien de plus volatile, d’impalpable, d’imperceptible que cette introspection dans les arcanes de cette vérité métaphysique, ontologique, existentielle qui brouille les pistes, dissimule des indices et oblige à tâtonner à la manière d’un aveugle pointillant le sol avec sa canne. Pas de discours étoffé, que des bribes ou lambeaux de phrases ! Pas de feu flamboyant, que de timides étincelles ! Pas de souffle puissant, que d’étroites expirations ! La vérité est inaccessible à l’esprit humain, affirmait Montaigne. Elle ne se pense pas, ne se réfléchit pas, ne se démontre pas, ne s’argumente pas. Elle se vit, se sent, se respire. Dans la presque ignorance, le contraire de l’intelligence. Dans l’innocence et la virginité mentales (comme le ravi de la crèche qui la recèle sans le savoir) . Dans la foi en la nature ou, ce qui revient au même, en l’homme. Pas dans le démonstratif, ni l’apparent mais dans le subliminal, celui de la 25ème image qui, capturée fugacement par notre inconscient, se loge au fond de l’œil et affleure à peine la cornée. Absente et présente à la fois, en écho aux contradictions mystérieuses et déroutantes des dualités permanentes de la vie. 

La cohérence chouchou des esprits bornés 

Sans être fausses, les convictions ou les croyances peuvent aussi être contradictoires dans leur recherche des vérités accessibles du quotidien  à l’opposé de la vérité suprême détaillée ci-dessus. La complexification progressive des sociétés a engendré des cultures en perpétuelle évolution et donc en même temps une déstabilisation mentale. Exemples parmi tant d’autres: dans l’Europe médiévale, la noblesse croyait à la fois en la chevalerie et au christianisme. Comment accorder vaillance guerrière et esprit de paix? La liberté et l’égalité au coeur de la devise française sont  difficilement conciliables. La liberté garantie à chacun dans le respect des lois s’exerce souvent au détriment de l’égalité. Si, au nom de la liberté d’entreprendre, les pays riches ne pouvaient plus exploiter les matières premières des pays en développement, leur niveau de vie baisserait considérablement et si, en vertu de l’égalité, les pays pauvres accédaient au pouvoir d’achat des nantis, le monde s’écroulerait à coup sûr sous le poids de la consommation insoutenable. Illustration de l’application de ces 2 valeurs  avec les pays les plus emblématiques : les États-Unis où la “dictature” capitaliste prône avant tout la liberté d’entreprise au détriment des classes populaires et affiche ainsi un record d’inégalités et la Chine où la “dictature” communiste essaie de développer l’égalité à grande échelle et pour ce faire  cadenasse les libertés individuelles. 

Même si elles heurtent parfois les sensibilités, les contradictions constituent le moteur de toute culture dynamique et créative, car elles nous poussent à la réflexion et à la critique. Il est bénéfique que l’homme soit déchiré par des valeurs incompatibles. “La cohérence est le terrain de jeu des esprits bornés” déclare Yuval Noah Harari dans son livre “Sapiens”. Peut-on adhérer à cette assertion provocatrice au condensé forcément limitatif ? Tout ce qui peut contribuer à entraver des certitudes convictionnelles “définitives” est toujours le bienvenu à condition de muer la légitimité de l’incohérence des choix à opérer en une stabilité mûrement réfléchie. A l’image, toutes proportions gardées, de la cohérence instinctive de l’animal ou de celle empirique du primitif qui, fort de coutumes inébranlables, ne souffre pas des affres de l’incertitude et de l’hésitation, mais en subit par contre l’immuabilité ancestrale, sauf intervention extérieure. Cette momification assure la cohésion de la communauté en même temps que sa survie. Dans ” Le Bonheur en plus”, François de Closets estime que les civilisés que nous sommes devraient être, compte tenu de notre diversité culturelle et économique, bien plus heureux que les autochtones non assimilés ou non assujettis. Est-ce le cas? Poser la question c’est y répondre. 

Fausses croyances masquées 

Cependant les vraies fausses croyances, même complotistes, sont souvent d’une telle légèreté qu’elles ne peuvent séduire qu’une partie de la population, même via les réseaux sociaux, leur canal favori. Dénoncées par la plupart des médias classiques, elles peuvent être réfutées assez facilement tant l’argumentaire qui les sous-tend est faible. En attendant d’être balayées avec le temps, elles ne convainquent durablement que les jusqu’aux-boutistes . D’ici là elles participent au  débat public ouvert à tous et peuvent monopoliser l’attention générale et parfois causer des dégâts considérables, surtout quand elles viennent “d’en haut” comme l’annonce péremptoire de Donald Trump, le champion en la matière, qui recommandait d’absorber de l’eau de Javel pour se prémunir du Covid et a sur la conscience (en a-t-il seulement une?) un certain nombre de crédules morts ou presque. 

Autant ces vraies fausses croyances n’affectent que superficiellement l’état de la planète, autant les fausses croyances masquées (d’actualité ces temps-ci) sous des dehors de respectabilité, diffusées à fortes doses et trop peu contredites constituent une menace bien réelle pour la survie de l’humanité par leur action profonde et continuelle, à l’image d’un lavage de cerveau, au point de les croire inscrites dans nos gênes!  La plus importante et sans conteste la plus nocive, qui par son degré de dangerosité éclipse presque toutes les autres, comme les bienfaits de la privatisation et des échanges commerciaux et touristiques mondialisés, les solutions aux dégâts écologiques par encore plus de techno-sciences, la sécurité rassurante de l’énergie nucléaire…, est la croyance en la croissance du productivisme industriel et de la consommation  chez les nantis immodérables et solvables à merci (chez les démunis et les précarisés uniquement, la croissance est souhaitable pour au minimum  satisfaire leurs besoins essentiels). Partagée par l’ensemble des gouvernants et des commentateurs, elle est considérée comme le moteur de l’économie. Emblème du capitalisme florissant, la bourse en a fait l’indice de référence de ses cotations, peu lui chaut la qualité des biens et des services produits dès lors que les performances financières sont bien présentes. Fruit du néolibéralisme dérégulé, le dogme du Progrès et du Bien-être adossé à la croissance et au productivisme industriel qui, séduisant à bien des égards, a longtemps envoûté les esprits et continue à les vampiriser, à tort car à la lecture objective et implacable des faits il montre ses limites insoutenables et inacceptables et ne devrait plus nous leurrer encore longtemps. A la mode ces temps-ci sur le plan religieux, la foi aveugle ici en un système économique défaillant confine à l’intégrisme et à son cortège de désastres: réchauffement climatique, pollution, épuisement des ressources, disparition des espèces végétales et animales, déforestation,  surconsommation, gaspillage énergétique et alimentaire…

Frilosité sociétale et politique 

 Face à ce risque, on s’attendrait à des mesures fortes en faveur de plus de sobriété et de pondération. Elles ne viennent pas ou si peu qu’on n’en voit pas la trace. A qui la faute? Aux gouvernements? Sauf en dictature, si le culturel ne donne pas son aval par des signaux forts pour un changement radical de société, le politique n’osera pas amorcer l’indispensable virage à 180°, notamment par crainte de déplaire à son électorat. La crise du Covid a mis en évidence l’état d’esprit de la population des pays riches à ne pas changer de paradigme pour l’après Covid. Aucune initiative de grande envergure n’est prise, ni même proposée par les décideurs. Comme si les problèmes écologiques n’étaient l’affaire que des seuls écologistes ou lucides. La principale préoccupation de la majorité dite silencieuse consiste à recouvrer les, à leurs yeux, “bonnes” vieilles habitudes et d’oublier au plus vite la pandémie. Comment voulez-vous que, même si le politique y songeait, et c’est sans doute loin d’être le cas eu égard à ses intérêts personnels et aux pressions des lobbies des puissances d’argent, il s’engage dans une réforme, pour ne pas dire révolution, structurelle d’importance et au premier abord impopulaire.

Démarche d’autant plus déroutante que la population n’y est pas préparée, encore moins associée, du fait que les communicants qui ont pignon sur rue se gardent bien dès lors qu’ils abordent un sujet sensible (pollution, dérèglement climatique …) de dénoncer la cause première du problème posé, à savoir notre système économique. Ils restent à la surface du problème sans le contextualiser et se contentent d’inviter les gens à poser des gestes personnels susceptibles d’atténuer ses effets pervers. Ce qui ne le règle pas en profondeur.

Dommages insuffisants

La pandémie a mis à mal une conviction que j’avais fait mienne depuis des années, à savoir que seules des catastrophes affectant durablement les nantis pourraient imposer le changement indispensable à notre survie. Nous sommes bien dans cette configuration et pas de bouleversement en perspective. Ou bien la prise de conscience viendra plus tard, ce dont je doute en l’absence de signes annonciateurs, et le changement suivra. Ou bien on ne fait pas le lien entre la covid et notre système économique, dans l’ignorance de la mise au jour des virus enfouis depuis des millénaires par la déforestation, l’extraction des minerais, l’exploitation des fonds marins. Ou bien c’est le cumul de catastrophes qui fera réagir.  Les variations météorologiques extrêmes qui se succèdent régulièrement un peu partout dans le monde : canicules, inondations, sécheresses…ne font pas bouger les lignes. A quand la prochaine zoonose (prédite à coup sûr par les scientifiques) qui pourrait se rajouter à la présente si celle-ci continue à faire ses ravages, apparemment, malgré leurs sévérités, insuffisants eux aussi pour émouvoir? En fait ma conviction énoncée plus haut aurait dû, pour coller à la réalité, commencer par: “Seules des catastrophes impactant durablement et surtout GRAVEMENT les nantis…” . J’ai négligé à tort le paramètre du niveau d’intensité des dommages, tablant essentiellement sur la durée des catastrophes, dont l’acception connote par elle-même la gravité. Faut-il attendre que la pollution de l’air, de l’eau et de la terre, la stérilité des sols, la raréfaction des ressources et de l’énergie et autres nuisances du même genre s’imposent à nous de façon irréversible? Oserais-je énoncer la conviction suivante qui risque d’être, comme tant d’autres, recadrée avec le temps par la réalité contemptrice : seule  la décroissance volontaire chez les nantis, ou au moins l’acroissance, est susceptible de sauver ce qui peut encore l’être et d’éviter le dilemme dramatiquement prédictif du livre de Franz Foulon paru en 1982 “Survivre ou périr ensemble”.

La saturation de fausseté décrite tout au long du texte devrait constituer une motivation supplémentaire  pour s’introspecter et faire émerger notre part de vérité sur toutes ses formes : le bien, le beau, le juste… pour jouer au mieux le rôle d’éveilleur de conscience assoupie, de réinitialisateur d’instinct désactivé, d’ordonnateur d’intelligence au service d’une vie simple et épanouissante.

Pierre Crombez 

Le capitalisme est-il soluble dans l’eau épurée ?

 

A cause de son exploitation démesurée des ressources et son incitation à la consommation effrénée, le capitalisme est mis sur le banc des accusés comme principal responsable des dérives actuelles. Limité dans le temps et dans l’espace, il a pu donner l’illusion que la vie dispendieuse d’une petite catégorie de privilégiés entraînait peu de dommages pour le reste de la population. Mais sans concurrence après l’élimination de tous ses adversaires, il en a profité pour s’étendre, accroître sa puissance et dépasser les seuils de tolérance.
Qu’attendre comme changement d’un système qui s’enrichit sur tout, même sur les dégradations qu’il a lui-même provoquées (la correction d’une pollution accroît le PIB comme les licenciements dans une entreprise valorisent sa cotation en bourse) et dont il s’arrange pour faire payer les réparations par la collectivité, en vertu de la règle cynique de la privatisation des bénéfices et de la socialisation des pertes ? Comment va-t-il, après avoir surfé avec profit sur la vague écologique, accepter de se laisser déposséder d’une partie de sa rente ? Impensable, après sa lucrative mise en place, l’énergie solaire gratuite et décentralisée ! Parions sur l’inventivité pernicieuse des chercheurs à sa solde pour faire de l’ombre au soleil. Consommons, polluons, dépolluons, purifions, repolluons… sous son contrôle et à grands frais. Il a réussi l’exploit d’installer une bête puante dans une maison et de convaincre ses occupant de ne pas la bouter dehors, mais d’acheter, pour atténuer l’odeur, mille gadgets : sprays, parfums, déodorants, masques, ventilateurs…
Savez-vous que les banques à l’origine de la crise des subprimes en 2008 accordaient sciemment des crédits hypothécaires à des emprunteurs aux ressources insuffisantes pour rembourser leur créance, mais en même temps s’en prémunissaient en spéculant sur leur insolvabilité (elles ont été dépassées par l’ampleur du phénomène), prenant pour modèle la championne de ces entourloupes (le mot est faible) : la banque Goldman Sachs qui après avoir participé au traficotage des comptes de la Grèce, misait gros derrière son dos sur son effondrement. On assiste actuellement au même scénario à propos des bio-banques qui sous le couvert de la protection d’espèces végétales et animales menacées dupent même des écologistes avertis, par des mesures préservatives ponctuelles, paravents de manœuvres dilatoires visant à créer la rareté des ressources naturelles et par là des bénéfices à court terme plantureux. (cf. le documentaire : “Nature , le nouvel eldorado de la finance” de Sandrine Feydel). Non décidément économie de marché et économie soutenable, profits personnels et intérêt général, croissance et écologie sont difficilement conciliables. 

La bourse ou la vie. 
Il est curieux de constater que l’expression “la bourse ou la vie” analysée sous la loupe linguistique et revisitée à l’aune du temps a complètement inversé sa signification. Autant la bourse, exigée aux riches par les bandits de grand chemin, représentait une réalité matérielle et établissait une équivalence entre les termes (la bourse = la vie), autant aujourd’hui elle figure avant tout une virtualité (80% des transactions boursières ne correspondent qu’à des flux financiers complètement déconnectés de l’économie réelle), concerne toutes les couches sociales et met en exergue une opposition (la bourse contre la vie). Emblème flamboyant du capitalisme, elle avilit, mutile, symbolise la mort par sa recherche permanente du profit maximum et les dividendes à deux chiffres. La main invisible des marchés tue impitoyablement, sans état d’âme, des millions de personnes, notamment par ses fonds de pension qui au moindre signe d’essoufflement délocalisent des entreprises même rentables, anéantissent des pans entiers de l’économie et affament un peu plus chaque jour des populations, déjà sous-alimentées, par ses spéculations sur les céréales et les produits de première nécessité. Jean Ziegler, ex-rapporteur de l’ONU sur l’alimentation, ne craint pas de traiter d’assassins tous ces oligarques rapaces aux mines réjouies d’affairistes et satisfaits des bons coups joués. Les 3000 morts du 11 septembre 2001 aux EtatsUnis sont à multiplier par 10 tous les jours en Afrique, certainement le continent le plus riche en matières premières et donc le plus convoité.
Pour satisfaire son besoin permanent d’accaparement, le capitalisme abime à courte ou longue échéance tout ce qu’il touche. Aussi en arrive-t-il à dilapider sans discernement son capital (un comble pour lui) jusqu’à provoquer la stérilisation de son environnement. Pour survivre, il se nourrit de la mort rapide des produits (obsolescence programmée) et de l’exploitation des hommes. La multinationale Monsanto a réussi l’exploit de mettre au point une semence : la bien nommée “Terminator”, qui, une fois cultivée, s’autodétruit (pour l’instant retirée du marché devant le tollé provoqué par sa commercialisation ; jusqu’à quand ?). Il est d’ailleurs symptomatique de constater les atteintes de plus en plus prononcées à la capacité des humains, surtout chez les nantis, de se reproduire ; peut-être un moyen supplémentaire pour la nature de se prémunir de l’espèce humaine par trop
envahissante, comme le suggère Yves Paccalet dans son ouvrage au titre volontairement provocateur: “L’Humanité disparaîtra, bon débarras !”Le nucléaire, l’enfant chéri du capitalisme sournois, montre l’exemple avec ses territoires devenus, après catastrophe, inhabitables pour des siècles, ses déchets prometteurs d’infiltrations incontrôlables dues à la porosité des contenants, ses cancers généreux de propagation et de longévité, ses armements cataclysmiques… (on dirait un panneau touristique invitant à la visite). Et la liste est loin d’être exhaustive.

Le capitalisme superman. 

Comment un système aussi mortifère a-t-il pu s’imposer dans le monde entier et continuer à prospérer sans qu’une mobilisation généralisée ne le remette en cause ?
Correspond-il à la loi darwinienne de l’évolution qui impose l’élimination du faible pour que survive le fort ? Force est de constater que le capitalisme rebondit après chaque crise qui pourtant devrait le disqualifier définitivement. En fait il se nourrit des crises. Il est par essence crise. Pour preuve : sans (sur)endettement permanent et son corollaire, le crédit, qui constituent bien une situation déséquilibrante si elle perdure, pas de consommation démesurée, pas de spéculation, pas de capitalisme financier.
Pourquoi lui renouvelle-t-on sans cesse notre confiance malgré un palmarès désastreux étalé sur plusieurs siècles (continents entiers dévastés, anéantissement de civilisations autochtones, traite des noirs avec appauvrissement inéluctable de l’Afrique, famines programmées par destruction de cultures vivrières ancestrales au profit des exportations) ? Alors que l’on a éliminé, semble-t-il définitivement, le communisme, qui n’a jamais vraiment vu le jour. Les seules expériences de longue durée illustrent tout au plus des capitalismes d’Etat et celles porteuses d’espoir ont avorté à cause des efforts conjugués des Russes, des Américains et des Occidentaux dans leur sphère d’influence. Il a été banni après moins d’un siècle d’existence, sans lui laisser une chance de se réhabiliter par exemple dans une expérience prolongée de socialisme à visage humain. Encore une expression à revisiter. Pourquoi ne l’associe-t-on pas au capitalisme qui en aurait pourtant bien besoin ? J.-Cl.Barrault y fait allusion dans son ouvrage : “Venise, le capitalisme à visage humain” où il montre la cité des doges du temps de sa splendeur, certes capitaliste, mais soucieuse du bien public avec des salaires élevés, des prêts limités à 5% maximum, la richesse partagée, l’évasion fiscale inexistante… Pourquoi une telle différence de traitement ? Sans doute parce que les exactions commises par le capitalisme libéral sont diluées dans le temps et l’espace et donc moins facilement identifiableset chiffrables (un recensement objectif et rigoureux édifierait à plus d’un égard même ses laudateurs béats) que la concentration des morts communistes focalisée sur des périodes et des géographies bien délimitées. Peut-être aussi que le capitalisme sous ses dehors démocratiques mais ses dedans fascisants a réussi à convaincre d’exclure de son périmètre idéologique ce qu’il considère étranger à lui comme les régimes dictatoriaux ; alors qu’ils constituent en fait des excroissances en latence susceptibles d’émerger dans certaines circonstances. En tout cas il a horreur d’un trop plein de démocratie à cause notamment de ses contrepouvoirs dérangeants. Rien de plus reposant pour lui qu’une bonne dictature. Une preuve parmi tant d’autres : les cotations sévères à l’égard de l’Egypte et par les agences de notation, chiens de garde des marchés, à la veille des mouvements de contestation du printemps arabe, au motif cynique de “risque de démocratisation”. Que cela est candidement dit. L’ultralibéralisme dénoncé même par les conservateurs modérés ne constitue aucunement, lui non plus, une dérive du système mais s’inscrit dans la droite ligne de son mouvement. Il continue à séduire habilement au moyen du leurre de l’accès au pactole par tous. Son plaidoyer pour la libre entreprise, source de richesse et de bonheur, au contraire de la pauvreté partagée d’un communisme contraignant, entraîne une attractivité légitime mais illusoire car matériellement intenable compte tenu des ressources limitées de la planète. Comme il ne faut pas attendre la grâce infuse de je ne sais quelle vertu angélique pour réduire notre consommation et permettre au plus grand nombre d’accéder au bien vivre, comment éveiller la conscience de chacun et atteindre ainsi une masse critique de suffisante pour changer le cours des choses et terrasser le Big Brother qui nous menace ? Tout au long de l’Histoire, on peut affirmer qu’en général le collectif a toujours primé sur l’individu. Mais après la deuxième guerre mondiale, la courbe, dans les pays riches, s’est peu à peu inversée jusqu’à l’exacerbation de l’individualisme aujourd’hui volontiers outrancier : tout, tout de suite, pour moi. Et c’est paradoxalement au moment où le collectif est devenu indispensable à sa propre survie qu’il s’estompe petit à petit au profit de l’individu qui n’a jamais autant disposé de moyens d’information, d’éducation, de temps libre pour afficher sa personnalité responsable. Il est douloureux de voir que tous les efforts pour faire émerger cet individualisme adulte qui joue aux abonnés absents alors qu’il devrait extérioriser son indépendance d’esprit durement acquise au cours des siècles, aboutissent à l’effet inverse c’est-à-dire à une collectivisation béate de la pensée et une standardisation des activités dites libératrices comme les spectacles sportifs mondialisés, les destinations et formatages touristiques récurrents, les réseaux sociaux en grande majorité infantilisants, les technologies trop souvent inhibitrices de créativité personnelle…Le constat est sévère et la conclusion amère ; en dehors de quelques initiatives citoyennes riches d’espérances, l’uniformisation des cultures ne laisse entrevoir que peu d’espoir de ne pas se laisser embaumer vivants !

Pierre Crombez

Le mérite, ça ne se mérite pas !

 

Déterminismes souverains 

La médecine, la biologie surtout, sont devenues des éléments inséparables de la réflexion philosophique. A la lumière des récentes découvertes en génétique, quelle marge de manoeuvre reste-t-il à chaque individu pour disposer de lui-même comme il l’entend, s’interroge dans son livre “L’illusion nécessaire” le Pr Philippe Meyer, membre de l’Académie des Sciences de France?  L’immense différence physique, psychologique, comportementale, entre les hommes donne à chacun l’illusion qu’il est totalement libre de ses choix, une notion qui est la clé de voûte de l’épanouissement de l’âme. Nous nous trompons, affirme l’auteur. Aujourd’hui, on le découvre petit à petit, la liberté de choisir est menacée par des déterminants de toute nature, par des dons reçus et subis, des contraintes génétiques, des ordres moléculaires qui nous sont imposés. La seule vraie liberté qui reste, c’est celle d’exploiter les acquis de notre existence en les articulant au mieux avec notre patrimoine génétique qui lui est déterminé. Et l’auteur de proposer la naissance d’une nouvelle discipline, une «biophilosophie» qui prendrait en compte tous les acquis de la science pour repenser l’Homme. 

Spinoza ne dit pas autre chose en affirmant qu’être libre, c’est non s’arracher à ses déterminismes (impossible et absurde), mais c’est apprendre à les connaître, à amadouer les accablants et à valoriser les bienfaisants.

Toute la doctrine stoïcienne repose sur la notion ď un destin défini à l’échelle cosmique et ďaprès lequel l’ordre du monde , la succession des faits, les événements qui composent la vie humaine sont déterminés selon une nécessité immuable. “Malgré le sentiment que j’ai ďêtre aux commandes, je suis de plus en plus impressionné par les indices qui paraissent démontrer que mes neurones font tout sans me demander mon avis”.( “Sept vies en une.  Mémoires ď un prix Nobel” Christian de Duve). “La plupart des gens ne veulent pas admettre que l’ordre qui régit leur vie soit imaginaire, mais en fait chacun naît dans un ordre imaginaire préexistant; dès la naissance, les mythes dominants façonnent nos désirs même les plus égoïstes” ( Yuval Noah Harari “Sapiens. Une brève histoire de l’humanité”). 

Les affirmations qui confortent ce paradigme jalonnent  l’histoire en grand nombre. Illusoire est donc notre liberté de choisir la trajectoire qui conviendrait le mieux à chacun d’entre nous. Alors que nous reconnaissons la complète dépendance des animaux à leur instinct, nous nous illusionnons sur notre libre arbitre sous le couvert trompeur d’une intelligence faussement autonome.

Si l’on ne peut qu’entériner nos déterminismes innés, on est légitimement en droit de supposer que nos rencontres, nos expériences, notre éducation, nos connaissances constituent aussi des déterminismes de parcours individuel aussi puissants que ceux fournis à la naissance au même titre que les traditions discutables et les discriminations honteuses, la plupart aux origines trafiquées par l’imaginaire ou même parfois par le surnaturel et depuis longtemps ignorées (le livre “Sapiens” déjà cité les relève pertinemment), font partie de notre arsenal culturel de croyances douteuses.

 Dans la hiérarchie de notre gouvernance, ces déterminismes innés et acquis tracent de façon indélébile notre profil, occupent tous les postes de commandement et laissent nous leurrer sur notre capacité à corriger leurs diktats.

Le mérite connoté 

Quel mérite positif dès lors pouvons-nous revendiquer dans notre vie ordinaire d’avoir rempli correctement la mission à nous assignée grâce aux éléments ad hoc fournis initialement et opportunément récoltés en cours de route ? Le mérite connote l’effort, le volontariat, l’initiative. Rien de tout cela n’existe, si tout nous est fourni et imposé à notre insu ; si nous n’avons qu’à suivre les instructions, comme dans le montage d’un meuble préfabriqué, livré avec les matériaux, l’outillage, les schémas adaptés, où le décodage et la manutention ne dépendent que d’un minimum d’acquis. Même pour les plus doués qui créeront leur propre meuble, quelle gloire peuvent-ils en tirer alors qu’on (?) a mis à leur disposition les matériaux certes bruts mais en même temps tous les moyens nécessaires pour les affiner artistiquement. 

Quel mérite en effet reconnaître à Mozart qui, à 6 ans déjà, a composé une oeuvre musicale majeure ? La performance n’est-elle pas du même ordre que celle d’un autiste capable d’aligner sans effort plusieurs centaines de décimales de Pi ? Aucune éducation, aucune technique, aucun apprentissage acquis pour atteindre un tel niveau. Leur anormalité positive est innée, il suffit de l’exploiter. “Le génie n’est que l’enfance nettement formulée” (Baudelaire). L’auteur conforte ici l’idée de l’innéité d’aptitudes hors normes (en latence dès la naissance), au mérite minoré par la locution “ne que”, qui se manifestent à l’enfance par une extériorisation parcellaire, désordonnée, balbutiante, tâtonnante, indécise, cependant déjà décodable par les plus clairvoyants, mais lisible par les autres plus tard lors de sa pleine affirmation mature. Pourtant applicable aussi à toutes les capacités ordinaires, l’assertion les néglige au seul profit de ces figures exceptionnelles (en bien ou en mal), soulignant ainsi leur fondement constitutif et peut-être génétique (cousinage de génie et de gènes ?) et leur variabilité d’intensité : amplification, affermissement, épanouissement ou atténuation, estompage, étiolement, mais aussi, contrairement aux autres, leur impossibilité d’acquisition ou de conquête. Et même si toute entreprise d’exploitation des potentialités exige éducation, persévérance, détermination, jusqu’auboutisme, leur mobilisation tient non pas à une liberté de choix, mais bien à l’activation de composants internes et externes (dés)avantageusement octroyés ou distribués. Faut-il pour autant nier la valeur de l’effort dans l’accomplissement de l’activité librement (?) choisie ? Certes non, mais rien de comparable entre un effort alourdi, car accompli sans appétence et sans dispositions facilitatrices, et celui allégé par l’extériorisation d’une attente, d’une latence et de potentialités conscientes ou non. Dans ce cas-ci peut-on encore parler d’effort ou alors dans le sens de mise en place des moyens nécessaires à l’aboutissement du projet sans qu’il soit question de contrainte ou de coercition ?

Le revers de la médaille du mérite 

“Rien de pire qu’une société fondée sur le mérite”(Paul Valéry). Les dominants seraient erronément confortés dans leur supériorité alors qu’une plongée même sommaire dans leur ombre historique mettrait en lumière des héritages, patrimoines, donations, malversations, hasards bienveillants et autres avantages étrangers à leur mérite personnel. Les dominés se sentiraient encore plus responsables de leur infériorité. La reproduction des strates sociales déjà si active dans tant de secteurs et particulièrement à l’école, en dépit de ses promesses fallacieuses de correctif égalitaire, trouverait une légitimité supplémentaire pour se renforcer et, pourquoi pas ?, accréditerait un peu plus la thèse malthusienne de la limitation des naissances avant tout à l’adresse des pauvres accusés de ne pas chercher assez à s’extraire de leur condition médiocre et donc de mériter leur sort . Semblable discours est tenu actuellement vis à vis des chômeurs traités d’assistés privilégiés alors que, à l’évidence, ils sont victimes du système économique qui offre l’opportunité aux vrais profiteurs de puiser à leur gré dans une réserve de travailleurs démunis et soumis pour les culpabiliser et les exploiter. En effet qui peut encore croire à la fable d’une absence délibérée de volonté de la majorité des demandeurs d’emplois quand pour une offre se présentent des dizaines de candidats ? Nous sommes entrés résolument dans l’ère post-laborem où le plein emploi est devenu un leurre et le chômage un alibi à une exploitation vicieuse.

Nos jugements tenus en et au respect 

Dans la méconnaissance de l’intime et du parcours de l’autre, il convient de s’abstenir de jugements négatifs ou d’opprobres ( “il a mérité sa punition”) surtout quand ils stigmatisent des comportements défaillants aux yeux de l’accusateur et pourtant sans préjudice pour la collectivité. Pétri d’orgueil, l’intolérant exile, excommunie, uniformise, sait l’insaisissable, incarne l’absolu, certificalise la certitude. Traversé par le doute, le tolérant convoque humblement la diversité, l’invite à partager la table commune et lui réserve même la place d’honneur. Quel bénéfice tant pour l’individu que pour la collectivité que de s’interdire toute injonction ou toute obligation qui sortirait du champ du respect de l’autre, surtout dans le domaine des croyances. Tout est dit, mais rien n’est dit. Car le respect de soi, des autres, de la vie dans toutes ses composantes s’avère des plus fluctuant. Le “Tout coule” d’Héraclite trouve son intuition confortée en permanence dans le quotidien sociétal. Ce concept ne se conçoit que dans la mouvance. Un jour légalisé, le lendemain aboli. Ici on excise et circoncit, là on interdit la fessée ; ici on sacralise la vache et on se veut végétarien, là on accepte l’élevage concentrationnaire des animaux ; ici on condamne l’avortement et l’euthanasie sans rejet de la peine de mort et là on institutionnalise le mariage gay avec ouverture sur la procréation assistée. Le respect dans ses multiples facettes épouse et épuise trop de couleurs et de formes d’un kaléidoscope imaginaire pour initier une codification universelle et intemporelle. Il ne peut être que le résultat d’un consensus basé sur les vertus d’une conscience, d’une cohérence et d’une honnêteté sans cesse  affûtées, dans l’acceptation des contradictions inhérentes à la condition humaine mais les plus minimalistes possibles. Ce qu’ont compris certains adeptes du “vivre et laisser vivre”, fondement du bouddhisme jaïniste, qui se déplacent, vêtus de vent et de lumière, c’est-à-dire nus (uniquement les hommes) avec des clochettes attachées aux chevilles pour chasser les insectes éventuellement cachés sous leurs pas et ainsi éviter de les écraser. Leur dépouillement extrême, garant de cette recherche de respect absolu, dépend cependant de la solidarité et donc du degré d’agressivité de ceux qui ont produit la nourriture qu’ils mendient, par exemple au moyen de pesticides, ou les biens (certes infimes) nécessaires à leur survie. Ajusté à mesure plus humaine dans la vie dite ordinaire, jusqu’où ce non-interventionisme peut-il s’exprimer ? “On ne s’habitue pas à ce que nos actes n’aient aucun sens, que les bons comme les mauvais engendrent au hasard les bienfaits ou la pestilence. Dieu est toujours, toujours muet. Nous n’avons, pour fonder le bien et le mal, que le sable mouvant des intentions. Rien ne vient nous guider”. C’est ainsi que unes’exprime un des personnages de Vercors dans “Les Animaux Dénaturés” qui prolonge son raisonnement dans cette logique quelques pages plus loin : “Qu’est-ce qui nous permet de juger ? Sur quoi nous appuyons-nous ? La notion fondamentale de culpabilité, comment la définir ? Sonder les coeurs et les reins, quelle prétention !”. 

Aussi à défaut de critères et de jugements objectifs, nous sommes en droit de combattre ce que nous qualifions de mal dans un esprit de protection et de préservation (instincts de sécurité et de conservation obligent) mais pas de punition ou de vengeance. Toute condamnation varie selon le degré de responsabilité dévolue au délinquant ou contrevenant. La justice, digne de ce nom, s’y attelle avec ses faibles moyens à cause de la méconnaissance des mécanismes internes et externes qui ont présidé aux déviances humaines, ainsi (mal)nommées eu égard à un référentiel aussi arbitraire que nécessaire. Il suffit de voir les querelles d’experts qui se contredisent de bonne foi pour se convaincre de l’extrême difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de poser un diagnostic fiable quant au degré de responsabilité des accusés. Les circonstances aggravantes ou atténuantes ne sont que des reflets superficiels et peu éclairants de structures constitutives, intimes, souterraines, insondables, car ignorées de tous, y compris de l’intéressé, victime de cette “anormalité” négative, pendant de la positive à l’irresponsabilité tout aussi éclatante.

Terminons par un comportement exemplaire qui impose le respect. Celui du chanteur Julos Beaucarne qui, le soir même de l’assassinat de sa femme par un travailleur immigré qu’ils avaient hébergé, écrivit une lettre à la fois émouvante et surprenante pour le commun des mortels, non pour crier vengeance, mais pour oeuvrer à ” remettre d’aplomb et d’équerre la société malade, par l’amour, l’amitié et la persuasion”. Tout en étant “au fond du panier de la tristesse – on doit chacun, dit-on, manger un sac de charbon pour aller au paradis -“, il conclut ” je pense de toutes mes forces qu’il faut s’aimer à tort et à travers”. Quelle leçon d’humanité!

Avons-nous toujours besoin d’un prof au c..?

Affichée par un élève de ma classe du temps où j’enseignais, cette interrogation à l’adresse des autres élèves montrait qu’il avait compris le but que je poursuivais et m’épaulait dans  ma croisade vers plus d’autonomie en la traduisant dans une formule efficace par sa tournure provocatric. Ce qui évidemment n’a pas plu à nombre de mes collègues qui se sont indignés de ce qu’ils considéraient comme un crime de lèse-“magister”. Inutile de vous préciser que l’affichette a disparu assez rapidement de son support enlevée par une main d’adulte outré. Comment les enseignants du haut de leur chaire pourraient imaginer être privés de leurs cours magistraux. On comprend leur désarroi face à cette inversion dans la capture de la  connaissance : horizontale plutôt que verticale du haut vers le bas. Ce processus s’apparente à l’autodictatisme. Sauf que c’est en solitaires que ces aventuriers rompent les amarres de l’apprentissage dirigé et s’en vont naviguer au grand large du savoir, dont on ne pleure pas le naufrage, mais dont on s’empresse, dans l’amnésie de la réprobation initiale quasi unanime, d’applaudir la réussite, comme les commentaires élogieux à propos du parcours d’André Stern qui a publié “Et je ne suis jamais allé à l’école. Histoire d’une enfance heureuse”. Il serait  déraisonnable, malgré ses qualités indéniables, d’inciter à devenir autodidacte. Seules des personnalités à forte “carrure” avant tout psychologique sont capables de perdurer dans cette voie. C’est d’autant plus illogique que l’école, avec les moyens considérables dont elle dispose, pourrait obtenir des résultats similaires pour la plupart des élèves. A condition de changer son mode de fonctionnement beaucoup trop formaté pour permettre à chacun de développer ses potentialités. Pour preuve nombre de fortes personnalités qui ont étalé leurs talents dans la vie active regrettent l’incapacité de l’école à apporter son aide pour les découvrir et à fortiori pour les faire éclore. Ce n’est qu’une fois sortis de l’institution qu’ils se sont, à l’image des autodidactes, formés pour faire émerger leur moi profond. 

Éducateur-enseignant

Il est plus qu’urgent que l’école s’ investisse en priorité dans son rôle d’éducatrice permanente et non épisodique concentrée dans une vitrine de cours alibis. D’ailleurs on ne devrait plus donner aux profs le seul titre d’enseignants, mais les nommer des “éducateurs-enseignants”, dans cet ordre-là pour bien marquer la priorité à accorder à l’éducation. Non plus seulement “apprendre” mais avant tout “apprendre à apprendre” durant cette période initiatique pour servir de matrice référentielle plus tard en tant qu’adulte dans ses choix de vie (profession, famille, citoyen…). Il est primordial, avant d’entreprendre ce travail, de convoquer le bon sens et  l’imagination, insuffisamment invités à la table des reflexions, pour dépoussiérer les programmes, la méthodologie et les débarrasser de leur fatras d’exigences obsolètes, inadaptées, inadéquates qui encombrent inutilement les esprits ainsi  détournés de l’essentiel. Le pédagogue Freinet dans les années 20 critiquait déjà les heures imposées à l’étude normative et théorique des règles de grammaire qu’il résumait en 4 pages, suffisantes pour permettre à ses élèves de manier une langue  créative, valorisée par le texte libre et l’expression orale, et progressivement amendée par le tâtonnement expérimental. C’est semblable, dans l’apprentissage musical, au solfège qui est encore trop souvent considéré comme un préalable obligé à la pratique d’un instrument, au risque avéré de décourager de nombreux candidats musiciens ? Son étude s’ imposera d’elle-même avec les difficultés grandissantes. Avec ce préalable dépoussiérage intelligent, l’école pourrait sans réel problème remplir une mission d’éducatrice, et en priorité celle qui touche A l’autonomie.


Priorité à l’autonomie

Freinet, encore lui, en a été un de ses  promoteurs les plus zélés. En fait c’est en grande partie à cause d’une grave blessure par balle au poumon lors de la 1ère guerre mondiale aux séquelles importantes que vite epuisé par les cours magistraux qu’il prodiguait, il a imaginé une nouvelle pédagogie pour s’économiser et par la bande a offert l’occasion de développer le travail individuel où chacun peut faire émerger sa véritable personnalité. Aussi a-t-il abandonné les livres scolaires classiques au profit d'”outils” susceptibles d’encourager les élèves à progresser seuls (pour en savoir plus, se référer à l’article très complet sur Celestin Freinet dans Wikipedia). Aujourd’hui Internet, après une initiation pointue pour donner des repères indispensables à une exploration intelligente, rend le travail individuel plus accessible et l’autonomie qui l’accompagne. Que dire de ces profs d’anglais qui imposent des livres scolaires uniquement en anglais sans un mot de français. Comment l’élève en difficulté peut-il se rattraper? “My tailor is rich” est devenu l’emblème du célèbre et austère Assimil qui mérite sa réputation grâce à son organisation interne qui permet à chacun d’appréhender seul la langue étudiée, loin des livres au graphisme attractif mais qui interdisent la moindre autonomie. Pour ma part, du temps où j’enseignais, j’ai toujours employé des livres autocorrectifs qui, soutenus par des plans et contrats de travail, permettaient à chacun d’avancer à son rythme.  La pédagogie ou classe inversée est aussi intéressante pour la pratique de l’autonomie. Née pour pallier le non-apprentissage des élèves temporairement  absents dans l’enseignement classique, elle consiste à inverser les rôles traditionnels d’apprentissage : ici en gros les devoirs se font en classe et les cours à la maison grâce principalement aux TIC numériques (techniques d’informations et de communication. “Le maître ignorant” de Jacques Rancière offre une réflexion originale et étonnante  sur l’éducation à l’autonomie. En 1818, Joseph Jacotot, lecteur de littérature française à l’université de Louvain, non content d’avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, se mit à enseigner ce qu’il ignorait et qu’il apprenait en même temps que les élèves, prouvant ainsi que tous ont une égale intelligence et que l’instruction ne se donne pas, mais se prend.  Ne plus dire “donner cours” Étonnant contraste avec les consignes officielles données aux élèves confinés à cause du covid de ne pas aborder seuls de nouvelles parties de la matière non encore étudiées et de se contenter de revoir celles déjà abordées en classe. Ce qui apparaît évident dans la logique de la dépendance entretenue de façon permanente. Donner cours” devrait une expression à exclure du vocabulaire de toutes les formes d’enseignement sauf circonstances bien définies, comme par exemple lors de séances de non-compréhension collective d’un obstacle particulièrement ardu à franchir. Le prof ne devrait plus être le pivot central sur lequel tout repose, mais un guide, un soutien, un accompagnateur, un conseiller, un éclaireur, une référence. Après tout un travail préventif pour suggérer des iniatives à prendre et des intérêts à exploiter, pour reformuler les consignes utiles à retenir, pour prévenir des obstacles à éviter…, il se retire et laisse les élèves travailler seuls ; puis il revient pour répondre aux sollicitations et au final pour estimer la qualité du travail fourni et, si nécessaire, solliciter une amélioration. Le confinement des élèves à cause de la pandémie n’aurait pas eu ses effets négatifs aussi impactants s’ils avaient appris à se prendre en charge et à se diriger seuls. Quelle leçon le personnel enseignant va-t-il tirer de ce constat de carence?  S’en rendra-t-il seulement compte? Si oui, qui osera se lancer dans une réforme aussi audacieuse qui bouleverse si profondément les habitudes acquises? Si non, l’amnésie des dégâts causés par l’enseignement non présenciel gagnera la communauté enseignante et, à part quelques réformettes-alibis, on continuera à fonctionner comme avant.

Bénéfices pour tous

Et pourtant quels bénéfices autant pour les jeunes que pour la société ne pourra-t-on retirer de ce changement! En effet, comme je l’ai déjà dit plus haut, si le jeune a acquis le réflexe de l’aspiration à l’autonomie, il y a de fortes chances que, adulte, il le perpétue. Or, comme l’enseignement, la vie économique et sociale devra se modifier en profondeur. Et la recherche d’autonomie s’impose comme un des moyens les plus fiables pour y parvenir. Sa connotation induit toute une série d’avantages précieux comme, en vrac,: la liberté de la plupart  des choix,  la résilience, la simplicité, la créativité, la décentralisation, la responsabilité partagée au travail, l’économie de moyens, la réparation, la valorisation du local autant industriel (relocalisation des industries de première nécessité) qu’agricole, rejet de travail ennuyeux ou des loisirs passifs, rétribution plus équitable en cas de rupture de liens avec les grands distributeurs, tourisme de proximité à la carte, potager (collectif), verger, vélo pour les petits déplacements… .  Programme utopique ? Certainement, eu égard à l’outrancière et démesurée dimension de la dépendance qui s’est de plus en plus généralisée depuis les années 80 dans les domaines de l’alimentation (plats industrialisés tout prêts), de la santé (médicaments, chirurgie esthétique), des technologies, du tourisme organisé…   Bien balisée et fort fréquentée (suivez la flèche et la file), la recherche du “tout fait” se paie notamment en argent et en dégâts environnementaux élevés ; hors piste et assez désertée, l’autonomie se monnaie en faibles dommages écologiques, en temps que de plus en plus de gens veulent consacrer en priorité aux loisirs, et  surtout en efforts qu’ils ne veulent plus faire, appâtés par le facile accessible. Alors que conclure de ces réflexions pas très réjouissantes? Que cet épisode non en core clos de la covid pourrait être considéré comme une opportunité à changer notre désastreux mode de fonctionnement, à l’image du handicap devenu parfois un atout (Albert Jacquart lui avait consacré un chapitre dans un de ses livres). La blessure de Freinet en est une démonstration  (voir plus haut). Les chances d’un changement volontaire semblent minces mais tentons de nous y accrocher comme à une bouée de sauvetage. 

Le coronavirus: une opportunité écologique douloureuse !

Nos réactions face à l’épidémie du coronavirus ressemblent à une application partielle d’un programme de transition écologique: ralentissement de la croissance économique, de la consommation, des échanges commerciaux, des déplacements, du tourisme de masse… . La liste des restrictions est longue et le prix à payer très élevé. Est-il le signe avant-coureur de catastrophes qui affectant durablement les nantis seront seules susceptibles d’imposer le changement indispensable à notre survie (point de vue développé dans une carte blanche antérieure ou sur www.fairecommesi.com )? Il pose aussi la question de notre liberté d’action face à la contrainte de nos déterminismes innés et acquis.

Les jeux sont faits et l’homme aussi
Les catastrophes engendrées par l’homme sont 
communément étiquetées évitables, car, frappées du sceau de 
l’artifice, elles relèveraient de décisions arbitraires, délibérées, 
lucides, d’erreurs d’appréciation ou d’absence de perspectives à 
moyen ou long terme. Il “suffirait” que l’homme, devenu 
raisonnable, oriente sa conscience réflexive à des fins positives et inverse 
le cours des événements pour restaurer l’harmonie rompue. C’est 
donc prêter à l’homme des attributs et des pouvoirs d’autonomie, 
d’indépendance et de responsabilité dans la conduite de sa vie. 
C’est “quand on veut, on peut”, c’est donner à la volonté, 
indépendamment de toutes les autres facultés, le rôle de 
métronome pour imposer un rythme mesuré et équilibré dans le 
concert de la vie. 
La multiplicité et la variété des choix individuels seraient 
garantes d’un pouvoir exempt de toute emprise extérieure. Il 
faudrait dès lors partager le réquisitoire des nombreux procureurs 
de plus en plus avertis condamnant l’homme pour risque 
imminent (à l’échelle de l’Histoire) de planéticide par manque de 
précaution avec la circonstance aggravante qu’il exerce une autorité presque exclusive sur la victime ? Son entrée dans 
l’anthropocène – ère où les activités humaines constituent une 
puissante et dangereuse force géologique et climatique – engage 
certes sa responsabilité dans le sens qu’il en est l’acteur ou 
l’instrument mais entraîne-t-elle automatiquement sa culpabilité ?
Dès sa naissance, il est conditionné par son hérédité, ses 
reliquats d’instincts, sa mémoire collective, ses gênes impériaux, 
ses rythmes circadiens ou autres, ses cycles individuels ou 
cosmiques, ses fonctions biologiques, ses peurs congénitales, ses 
pressions transgénérationnelles. Pour contrebalancer ce 
contingentement, l’homme peut-il confirmer l’assertion : “On ne 
naît pas libre, on le devient” par le biais de sa culture au sens 
large, produit d’une lente élaboration et délicate maturation qui 
délimiterait véritablement son champ d’expérimentation et son 
périmètre d’actions autonomes ? Comment penser que la culture 
se construit et se définit en dehors des fondamentaux innés ? 
Comme s’il suffisait de puiser dans un pot commun d’inclinations, 
de sentiments valorisants et en retirer un profit personnel et, par 
la bande, collectif. Complètement subjectives, ces notions 
n’existent pas en dehors de lui. Seule la conjugaison hasardeuse ou nécessaire 
de sa nature profonde avec des événements, rencontres, 
expériences trace le profil heureux ou malheureux de sa 
silhouette lumineuse ou ombrée. A la (mal)chance! Les jeux sont 
faits, mais c’est lui qui en constitue l’enjeu à son insu.

Deus ex machina
Tout cela dans le respect du scénario conçu et dirigé par 
le Créateur et Metteur en scène Suprême (d’obédience religieuse, 
mécanique ou naturaliste : au choix selon ses convictions), une 
sorte de Deus ex Machina, pour rester dans le monde du théâtre ; 
car c’est bien d’une pièce dont il s’agit dans laquelle, engagés 
comme acteurs, nous sommes tenus de nous conformer au strict 
respect du texte et d’accepter la répartition des rôles : les gentils, 
les méchants, les forts, les faibles…, parfois interchangeables sur 
décision du Dramaturge, avec comme seule latitude, des nuances 
et variations minimes dans l’interprétation. Et peu importe la 
forme que cette programmation épouse : déterminisme, 
prédestination, prédétermination, hasard, providence, fatalité, 
nécessité, destin, fatum… . “Toute la doctrine stoïcienne repose sur la notion ď un destin défini à l’échelle cosmique et ďaprès lequel l’ordre du monde , la succession des faits, les événements qui composent la vie humaine sont déterminés selon une nécessité immuable”. (Histoire de la philosophie occidentale. Jean-François Revel).
Illusoire est notre liberté de choisir la trajectoire qui conviendrait le mieux à chacun d’entre nous. Alors que nous reconnaissons la complète dépendance des animaux à leur instinct, nous nous illusionnons sur notre libre arbitre sous le 
couvert trompeur d’une intelligence faussement autonome.
Dédouaner l’homme de sa responsabilité, de son 
imprudence, de son inconscience et l’absoudre de sa surdité aux 
cris poussés par des lanceurs d’alerte, à la manière d’animaux 
annonciateurs de catastrophes naturelles, comportent des risques. 
Face à la menace imminente d’une implosion généralisée, cette 
exonération ne ferait que juguler une mobilisation déjà ténue et 
annihilerait toute velléité, aussi mince soit-elle, de réaction 
raisonnable. Afficher ouvertement un déterminisme 
emprisonnant, faussement taxé d’inhibiteur car perméable à la 
contradiction en vertu du refus d’ériger une croyance en évidence, 
risquerait de tutoyer l’idéologie des intégristes prêts à anticiper 
sur terre un au-delà hypothétique et à l’imposer à tous.
Peu partagé, ce sentiment de main invisible, étrangement 
admis dans le cadre du marché capitaliste, innocente l’homme de 
ses agissements délibérément(?) destructeurs, interdit tout 
jugement catégorique et définitif, mais le dispense-t-il pour autant 
d’explorer son moi profond et le rôle qui lui a été assigné sur 
terre en une introspection vue comme contradictoire et inutile 
puisque copie au net d’un brouillon préexistant, entièrement 
rédigé depuis son introduction jusqu’à sa conclusion sans 
participation à sa conception et à son écriture (même pour les 
suicidés qui ont, en apparence seulement, fixé l’heure de leur 
mort)? Pas certain, parce que l’illusion s’inscrit dans une 
démarche aussi intéressante que la réalité (le mystère d’un tour de 
magie ne nourrit-il pas notre univers mental autant que son 
dévoilement ?). Pour ceux qui vivent dans l’ignorance de ce 
déterminisme, la question ne se pose pas puisque l’illusion de 
liberté non démasquée leur donne une impression de plénitude 
née de l’adéquation et la concordance de leur moi inné et acquis 
avec leur soi-disant choix de vie et en permanence les ĺeurre 
agréablement. Chez les sceptiques, les dubitatifs ou autres 
incrédules, le “faire comme si on était libre” substitue à la carence 
de certitude et à son corrolaire, l’omnipotence de leur doute, une 
illusion mentale analogue à celle qui habite les émancipés abusés 
cités juste avant , certes avec les tourments en plus, mais aussi 
avec la lucidité qui évite ou à tout le moins amortit le choc de la 
déconvenue surprenante et peut-être anéantissante. Logique
non ?, quand on sait l’importance du virtuel, de l’imaginaire, du 
rêve, de l’idéalisé, de l’irrationnel, de l’inconscient qui 
gouvernent nos vies peut-être plus que le réel, le palpable, le 
conscient, le rationnel. Le doute à ce propos reste cependant permis comme le texte le montrera dans le chapitre suivant.

Nouvelle révolution copernicienne
“Quand on veut, on peut”. A la condition que tous les 
stimuli nécessaires à la finalisation du projet soient réunis au bon 
moment. Ils peuvent se faire attendre, être activés partiellement 
ou ne jamais émerger. Passées relativement inaperçues, de 
récentes découvertes en neuroscience montrent que la volonté ne 
s’investira que si des activateurs physiques lui donnent le feu vert. 
C’est donc le corps qui valide un projet et non le mental, 
contrairement à ce qu’on croit généralement. Si les composants 
chimiques et physiques, les transmetteurs neurobiologiques 
s’avèrent insuffisants pour faire aboutir l’initiative suggérée par le 
mental, celui-ci abdique. “Malgré le sentiment que j’ai ď être aux commandes, je suis de plus en plus impressionné par les indices qui paraissent démontrer que mes neurones font tout sans me demander mon avis”.( Sept vies en une.  Mémoires ď un prix Nobel.  Christian de Duve). Oser dorénavant affirmer : “Quand on 
peut, on veut ” bouleverse en profondeur nos connaissances 
sur les fondements de la nature humaine ! Ce n’est plus l’esprit 
notre soleil rayonnant, autour duquel tournerait notre corps, mais 
l’inverse. Notre superbe et notre fierté de nous différencier des 
autres règnes (minéral, végétal, animal) en prendraient un fameux Oser
coup, si cette assertion était avalisée et confortée par d’autres 
études. Quelle déchéance ! Nous ne serions avant tout qu’un 
agglomérat de cellules et de molécules certes très élaborées et 
sophistiquées, mais de la même nature qu’un caillou, un pissenlit 
ou une mouche. Selon certains matérialistes, la conscience ne 
serait qu’un épiphénomène par rapport aux processus nerveux. 
D’ailleurs ne court-elle pas l’idée que nos intestins constitueraient 
un deuxième cerveau ? Et pourquoi pas le premier ? Hypothèse 
étrangement cautionnée par Bouddha, pourtant grand mystique 
devant l’éternel, qui dans son affirmation : “Est sage celui dont le 
gros intestin fonctionne bien” confirme lui aussi que, même 
dans notre quête spirituelle, prime la chair, et en plus sous la 
forme de son organe le moins ragoûtant, puisque siège (c’est le 
cas de le dire) de nos déchets. 
Le philosophe Comte-Sponville rapporte qu’à la question : 
“Entre le sexe sans amour ou l’amour sans sexe, quel serait votre 
choix ?”, tous les hommes sondés, sans exception, privilégient la première 
option et presque toutes les femmes, la 2ème. C’est donc un 
élément objectif qui détermine leur décision, l’identité sexuelle 
interdisant toute orientation personnelle même velléitaire. Nous 
sommes avant tout des êtres de matière qui nous imposent, sauf chez des yogis désincarnés,  de faire pipi et caca, avant de se livrer à la réflexion (la panse préalable à la pensée). Si notre univers spirituel n’est qu’affaire de physico-chimie, si les libres élans de notre volonté sont fabriqués de toutes pièces par un enchevêtrement de neurones, eux-mêmes esclaves de médiateurs chimiques, si le déterminisme de toutes ces réactions organiques se cache derrière tous les mouvements de notre vie mentale  et les dirige secrètement, alors adieu notre liberté de pensée et de choix. L’agglomérat de neurones désigné sous le vocable d’intelligence serait donc l’arbre soi-disant éthéré qui cache la forêt profondément enracinée dans 
un terreau et un humus d’où est sorti l’humain (leur racine 
commune entérinerait bien plus que leur filiation lexicale !). Dans 
un de ses poèmes, l’antique Virgile se répand sur la surpuissance 
d’un empereur romain qui semble sans limites et qui est terrassé 
par un… rhume. 
Notre interrogation sur la “consistance” de l’inconscient 
et du subconscient demeurera entière jusqu’au jour où peut-être 
on mettra aussi en lumière leur matérialisation et leur dépendance 
physique confortant la thèse de la primauté du corps sur l’esprit 
qui n’en serait finalement qu’une émanation partiellement ou 
faussement émancipée. Par voie de conséquence, le concret ne 
prévaut-il pas sur l’abstrait, le réel sur le virtuel, le vécu sur le rêve, 
la matière sur l’immatériel, la chimie sur l’alchimie, l’effectif sur 
l’imaginaire, la réalité sur la fiction ? Interrogation opportune, car
contradictoire à la réflexion conclusive du chapitre précédent. Où est la vérité ?

Le cri de détresse de la Terre
Spinoza soutient qu’être libre, c’est non s’arracher à ses 
déterminismes (impossible et absurde), mais c’est apprendre à les 
connaître, à amadouer les accablants et à valoriser les bienfaisants.
Si l’incontournable “connais-toi toi-même” ouvre des 
perspectives exploratoires évidentes pour circonscrire au mieux 
les contours de notre personnalité et satisfaire ainsi à la première 
partie de l’invitation spinozienne, si par chance une propension 
bienveillante me porte, deuxième sollicitation, à nous accomoder de nos dualités internes, à assumer sans acrimonie nos discordances, à reconnaître et apprivoiser nos contradictions pour esquisser un semblant de cohérence, comment remplir la troisième “clause du contrat”, à savoir influencer favorablement mes 
empreintes matricielles cadenassantes pour prétendre à
 la jouissance d’une liberté légitime ? N’est-ce pas équivalent à 
enjoindre un paraplégique à retrouver l’usage de ses jambes 
incurablement inertes ?
 D’autant plus difficile à atteindre que, si l’on ne peut qu’entériner nos déterminismes innés, on est légitimement en droit de supposer que nos rencontres, nos expériences, notre éducation, nos connaissances constituent aussi des déterminismes de parcours individuel aussi puissants que ceux fournis à la naissance. Dans la hiérarchie de notre gouvernance, ces déterminisme innés et acquis tracent de façon indélébile notre profil, occupent tous les postes de commandement et laissent nous leurrer sur notre capacité à corriger ses décisions. Comment expliquer autrement, malgré toutes les condamnations ou les rééducations appliquées, les récidivantes pulsions négatives (sexe, violence…), heureusement contrebalancées par les tout aussi récurrentes tendances positives (empathie, solidarité, altruisme…) malgré le style “Tonneau des Danaïdes” des situations à affronter. 
A supposer que nous percevions le cri de détresse poussé par la Terre, y serions-nous sensibles au point de modifier profondément notre comportement ?
Vrai pour ceux dont les déterminismes portent au respect du vivant quelle qu’il soit, à l’image des végétariens acquis à la cause animale? Faux pour tous les autres emprisonnés à leur corps défendant dans une gangue anesthésiante sur le sujet. Il est à craindre que, une fois le danger pandémique maîtrisé, la plupart d’entre eux, encouragés par les décideurs politiques économiques et financiers, replongent dans leurs travers dispendieux, alors que la sobriété obligée en réaction à un extérieur menaçant pourrait se prolonger et s’intérioriser en un déterminisme consenti, vecteur de simplicité, de suffisance, d’autonomie et de réharmonisation écologique.

Pierre Crombez 

Coronavirus et le printemps silencieux

Coronavirus et le printemps silencieux 

Avec son livre “Printemps silencieux” paru en 1962 et qui a connu un retentissement mondial, l’écologiste américaine  Rachel Carson a lancé, la première, l’alerte sur la toxicité des pesticides de synthèse, particulièrement du DDT, responsables à ses yeux de l’amenuisement de la population des oiseaux. Printemps car, prélude, en cas d’inertie des autorités compétentes pour limiter leur usage, de leur montée en puissance et par voie de conséquence d’un risque d’aggravation de la situation. Silencieux, car leur extension participait, grâce à la désinformation organisée des industriels de la chimie mise en cause, de l’élimination lente, progressive et en catimini des oiseaux qu’on n’entendait plus chanter. 60 ans plus tard, on ne peut que déplorer la justesse de cette lucidité prédictive qui s’est aggravée depuis monstrueusement. 
Ces temps-ci nous aussi sommes entrés dans un printemps silencieux. Anecdotique synchronicité lointaine ou signe avant-coureur (printemps prenant dès lors, comme dans le livre, valeur symbolique d’émergence) du même processus d’élimination mais qui vise ici les humains? Silencieux aussi car impressionnant état de fait suite aux mesures de confinement et d’arrêt de la plupart de nos activités habituelles. 
Quel lien autre que lexical établir entre les événements évoqués ? Nous avons affaire à 2 drames, l’un sanitaire bien identifié, comptabilisable, mondialisé, spectaculaire, concentré ; l’autre écologique diffus(la virulence du coronavirus en Chine et en Lombardie serait due à la pollution atmosphérique par les particules fines), mal quantifiable, affectant modérément les pays riches, souvent impalpable (ex: les tonnes de CO2 à économiser!) étalé dans le temps et l’espace. La prise de conscience du premier a engendré logiquement des réactions, inimaginables il y a peu, à la hauteur des enjeux; alors que le second attend toujours les “decrets” draconiens d’application pour contrer une mortalité “écologique” passée, présente et future infiniment supérieure aux ravages subodorés du coronavirus, sans parler de la menace d’extinction de l’espèce humaine; situation comparable à l’écho donné aux attentats du 11 septembre 2001 à New-York et au peu de cas accordé au  11 septembre quotidien que vivent tant de miséreux des pays minés surtout par notre “terrorisme” d’exploitation de tous ordres! 
La démonstration grandeur nature de cette rapide réactivité obligée face à  la pandémie conforte ma conviction ancrée depuis de nombreuses années que le changement radical du mode de vie des nations privilégiées, cause première du risque d’anéantissement de notre civilisation, en dépit des cris d’alarme insistants de la communauté scientifique et des iniatives louables orchestrées partout dans le monde, ne viendra pas de l’émergence d’une masse critique vertueuse venue de l’intérieur, même suscitée par l’inopérante pédagogie du catastrophisme, mais bien des désastres de très grande amplitude qui, affectant durablement les nantis, imposeront, à condition de ne pas les anéantir, ce changement indispensable à notre survie (argumentation développée dans le blog de www.fairecommesi.com).
Souhaitons que le temps suspendu actuel ne ressemble pas à la minute de silence dans un stade où les supporters piétinent d’impatience de faire éclater leurs bruits et leurs fureurs, mais bien à un temps de réflexion pour surfer sur la vague écologique des mesures prises qui s’apparentent non intentionnellement à un programme partiel de transition énergétique: réduction de la production industrielle, de la consommation d’énergie, des déplacements,  du tourisme, de la pollution… à adapter dans le cadre d’une organisation structurée capable de satisfaire les besoins essentiels de tous.
Restructuration d’autant plus urgente et nécessaire qu’une récession économique et sociale se profile à coup sûr à un horizon proche qui entre autres méfaits délétères  aggravera encore plus le sort des précarisés et dont il convient de se prémunir, à l’instar du Conseil National de la Résistance française qui déjà 2 ans avant la fin de la seconde guerre mondiale élaborait un programme de réformes preque révolutionnaires à mettre en oeuvre à la Libération. Imitons-le pour amortir le choc de l’après crise susceptible d’être aussi redoutable, si pas plus, que la crise elle-même, en planifiant dès à présent une refonte de notre système qui a mis en pleine lumière sa fragilité et sa vulnérabilité par trop de sophistication, de rigidité, de gigantisme, de dépendance et d’absence de petites structures ( “Small is Beautiful” titrait l’économiste E. Schumacher en 1973 dans la foulée du clairvoyant Club de Rome Halte à la croissance ) souples, autonomes, locales et résilientes, en refusant par avance les “plus jamais ça” stériles et inconsistants comme l’a encore prouvé l’après crise financière de 2008, en se méfiant des élucubrations de notre fantasque intelligence non assagie par la sécurisante conscience ( le raisonnable n’est pas d’office l’enfant légitime du rationnel, loin s’en faut!) et en s’efforçant de vivre de plus en plus dans la suffisance, la modération, la simplicité, la sobriété volontaires avant qu’une éventuelle nouvelle catastrophe nous contraigne à un silence de moins en moins printanier. 

Pierre Crombez

Pacte d’excellence vs Pacte de conscience


Ce qui est désolant et remarquable en même temps, c’est le fait que les jeunes manifestants “climatiques ” doivent faire la grève des cours pour extérioriser leurs revendications pour un avenir respectueux du milieu naturel qui passerait obligatoirement par une transition écologique efficace.

Désolant ce constat de l’échec de l’école à canaliser cette prise de conscience qui pour s’exprimer a besoin de sortir de ses murs. Remarquable cette volonté de contourner l’enfermement de cette institution qui, routinière et sclérosante plus souvent qu’à son tour, est incapable de se renouveler à l’aune des besoins légitimes des jeunes.

Il est plus qu’urgent que l’école s’ investisse en priorité dans son rôle d’éducatrice permanente et non épisodique concentrée dans une vitrine de cours alibis. Il est étonnant de constater l’ignorance ou de la méconnaissance de nombre d’étudiants interrogés à propos des attentats en France de janvier 2015 sur les notions de laïcité, de blasphème, de multiculturalisme… On ne peut que déplorer à partir de cet exemple, puisé dans mille autres du même type, la déconnexion de l’école par rapport au vécu des jeunes. “Le temps nous manque”, déplorent en choeur les principaux acteurs concernés.

Mais non, il est disponible si on convoque le bon sens et l’imagination, insuffisamment invités à la table des réflexions, pour dépoussiérer les programmes, la méthodologie et les débarrasser de leur fatras d’exigences obsolètes, inadaptées, inadéquates qui encombrent inutilement les esprits ainsi détournés de l’essentiel. Le pédagogue Freinet dans les années 20 critiquait déjà les heures imposées à l’étude normative et théorique des règles de grammaire qu’il résumait en 4 pages, suffisantes pour permettre à ses élèves de manier une langue créative, valorisée par le texte libre et l’expression orale, et progressivement amendée par le tâtonnement expérimental (programme appliqué aujourd’hui avec succès dans la pédagogie coopérative ou institutionnelle, étonnamment initiée au début du 19e siècle dans une expérience fortuite relatée dans : “Le Maître ignorant” de Jacques Rancière). Autre exemple : pourquoi le solfège est-il encore trop souvent considéré comme un préalable obligé à la pratique d’un instrument, au risque avéré de décourager de nombreux candidats musiciens ? Son étude s’imposera d’elle-même avec les difficultés grandissantes. L’école pourrait sans réel problème remplir une mission d’éducatrice avant-gardiste si elle osait se recentrer sur l’essentiel.

Avant d’aborder explicitement les vertus cardinales appelées de tous nos voeux pour donner (re)naissance – car c’est bien d’une deuxième naissance dont il s’agit – à cet homme nouveau capable enfin de développer et valoriser son monde intérieur aux ressources insoupçonnées et inexploitées, il est nécessaire de créer une atmosphère favorable à son émergence.

Or l’école, dans sa méthodologie, son organisation et même ses principes de base, offre une image comparable à la traditionnelle table d’accouchement qui trône dans presque toutes les salles de travail des hôpitaux, plus conçue pour le confort de l’obstétricien que pour la physiologie de la parturiente. Alors que, dans de nombreux pays, le passage automatique de classe dans un contexte bien spécifique a prouvé toute son efficacité, que penser de l’utilisation forcenée de la sélection et du redoublement comme arme de discipline et comme substitut d’une pédagogie naturelle basée sur le tâtonnement expérimental et le droit, si pas le devoir, à l’erreur sans sanction coercitive, mais au contraire avec remédiation et soutien dans le respect du rythme de chacun ?

Que penser de ces matières “tranches napolitaines” qui, dans une fausse impression d’ordre structuré et réfléchi, se succèdent à l’horaire les unes aux autres à marche forcée, sans lien entre elles, dans l’illusion de la capacité de l’élève à s’adapter à un environnement toujours renouvelé sans prise avec ses intérêts, ses interrogations et sa vie extérieure, sur une durée arbitrairement définie ?

Il est impérieux de jeter les bases d’un enseignement qui, pour convaincre de son utilité et entraîner l’adhésion, doit donner du sens à ses apprentissages et les ajuster aux attentes.

Esquissons à très gros traits les orientations et lignes directrices d’un tel programme jusqu’à la mi-adolescence, tronc commun sans spécialisation ni orientation, avec obligation de résultats dans les matières de base (très limitées en nombre) sur les acquis indispensables à la poursuite du cursus ; redoublement interdit ; remédiation immédiate dès l’apparition de difficultés avec au préalable formation poussée des professeurs à la détection et la correction des dysfonctionnements courants : dyslexie, dyscalculie, dysorthographie… ; subordination des apprentissages mécaniques et logiques au spirituel par la mise en place et la généralisation, comme pour l’apprentissage d’une langue, d’une “immersion de conscience” où les deux maîtres mots sont : participation et exemple et par une lente imprégnation dans un bain révélateur de connaissances, de réflexions, de compréhensions orientées, amendées, disciplinées, exhaussées par l’esprit, le coeur et l’âme, bref par la conscience qui fédère entre elles les “productions supérieures” de l’homme pour l’élever au rang d’humain et lui imprimer suffisamment son empreinte durant cette période initiatique pour servir de matrice référentielle plus tard en tant qu’adulte dans ses choix de vie (profession, famille, citoyen…).

La philosophie dans toutes ses composantes de questionnement surtout sur la nature humaine constitue par excellence la matière noble propice à cette élévation. Pierre angulaire des apprentissages, elle devrait au préalable les soumettre au détecteur de sens avant la traditionnelle connivence studieuse.

A ce propos, saluons l’initiative prise par les hautes instances officielles de l’enseignement en communauté française pour enfin introduire, déjà à partir du primaire, des cours de questionnement philosophique, de dialogue interconvictionnel et d’éducation à une citoyenneté active. Des intitulés qui augurent bien de l’orientation à donner dans le sens qu’ils ouvrent des perspectives d’interrogations, de doutes à partager, de confrontations de points de vue, de pratiques de dialogue,

d’ouvertures au pluralisme, comme dans ” La Philosophie pour Enfants” (Matheew Lipman),un modèle du genre, loin des certitudes et des dogmatismes assénés à coup de réponses formatées. Applaudissons cette initiative mais avec réserve et prudence, car quel bénéfice en retirer si la sollicitation à penser par soi-même grâce aux autres s’arrête aux frontières du dialogue, aussi respectueux soit-il (le débat ouvert à tous est déjà à considérer comme un progrès) et ne débouche que sur une verbalisation platonique aux effets limités et si elle ne baigne pas dans un milieu ouvert, dans des zones où elle devra s’incarner dans le vécu des élèves et raffermir la justesse de leur réflexion ? Que valent les paroles sans les actes ? Démonstration par l’absurde dans le sketch de Coluche où l’on assiste aux reproches formulés par un père imbibé d’alcool à son fils fumeur de joints ou dans la fameuse scène du philosophe du Bourgeois Gentilhomme de Molière. Une telle exigence de concepts vertueux ne se conçoit que dans la participation concrète de ceux chez qui on la sollicite et dans la rigueur exemplaire de ceux qui la réclament. Aussi y a-t-il lieu de mettre en place, sous peine de ravaler une fois de plus un matériau noble au rang de verbiage autosatisfaisant, une série de mesures qui convaincront de la qualité d’une pareille entreprise.

Epinglons :

dans une démarche démocratique : élections de délégués à différents niveaux décisionnels avec présence aux conseils de classe ; réunions de coopérative, communautés de recherche…;
dans une démarche de justice et de protection contre l’arbitraire : des consignes précises et des critères de cotations préalables au travail demandé, des grilles d’autoévaluation, des justifications détaillées, des recours effectifs…;
dans une démarche du respect de la personne : interdiction de tout jugement moral à propos de l’élève, prise en compte de contextes personnels, imposition de règles partagées : ponctualité, politesse…;
dans une démarche de prise de conscience : participation des élèves aux tâches ingrates de rangement, de nettoyage, de tri sélectif et aux campagnes antigaspillage (papier, nourriture, matériel…) ; repas bio avec produits locaux et de saison ; vente d’en-cas équilibrés (fruits frais, fruits secs, soupe…) ; exploration des ressources locales, voyages lointains réduits à la portion congrue…;
dans une démarche d’autonomie : établissement de contrats, plans de travail et grilles d’évaluation, alternant recherches personnelles (avec guidance préalable et impérieuse sur le net) et présentation à la collectivité, remédiation imposée ou volontaire, cours magistraux selon la nécessité…;
dans une démarche de création : multiplication d’initiations et d’expériences danstous les domaines : physiques, culturels, spirituels, manuels, artisanaux, artistiques… selon les suggestions, les désidératas, les opportunités, en constante liaison avec le terreau local : associations, groupes, entreprises… Penser particulièrement à l’expression théâtrale, la danse, la musique (chant, apprentissage d’un instrument de musique)…;
dans une démarche d’esprit critique : décrypter l’actualité et les préoccupations quotidiennes amenées à la surface à la faveur de textes libres, de débats, de lectures en puisant aux sources historiques, littéraires, scientifiques…dans des projets décloisonnés, avec l’aide éventuelle d’intervenants extérieurs à la classe (bibliothécaires, parents…) et en laissant au temps et à la maturation le soin d’édifier les synthèses nécessaires à la compréhension globale des mondes entrevus.
Programme certes révolutionnaire par rapport à celui en vigueur actuellement, mais en réalité pas neuf du tout ( le progrès consiste d’abord à jeter un grand coup d’oeil rétro). Il suffit pour s’en convaincre de revisiter les visionnaires de l’école moderne : Freinet, Steiner, Decroly, Dewey, Rodger, Neil, Oury… de s’enquérir de la pédagogie nomade, institutionnelle, anarchiste, de l’école du futur ou de la deuxième chance, de la philosophie pour enfants… . Pour quel résultat ?

Difficile d’en juger pour tout ce qui touche aux expériences ilotières au milieu d’un océan conventionnel, car trop peu nombreuses pour être représentatives, et même pour celles institutionnalisées depuis des décennies à l’échelle nationale dans

les pays nordiques, car largement imbriquées dans une société progressiste, notamment par les incitants à la prééminence parentale dans la prise en charge des enfants, pour être identifiables. Comment différencier ce qui relève de la culture ambiante de ce qui appartient spécifiquement à l’enseignement ?

L’école en est-elle le moteur ou simplement l’appendice ? Le système scandinave a-t-il produit ou est-il en train de produire un homme nouveau, un éco-citoyen à la place d’un égo-citoyen, un consommacteur critique et raisonnable, un créatif culturel, bref un exemple à généraliser ?

A quand l’instauration d’une agence de notation pour attribuer des cotes encourageantes aux initiateurs et aux exécutants de programmes éducatifs humanistes en lieu et place de ces certifications rigides et formatées style PISA en inadéquation totale avec le besoin de plus en plus urgent d’évaluations souples et personnalisées, reflets d’une maîtrise de repères solides.

Pierre Crombez – Enseignant à la retraite.

Et si la 6ème extinction annoncée était aussi naturelle que les précédentes ?

Oserions-nous poser la question iconoclaste : “La Terre ou du moins l’Humanité n’est-elle pas arrivée naturellement en bout de course?” sans être taxé immédiatement de fumiste ou de fataliste démobilisateur ? Avec l’avènement de la production industrielle, nous sommes entrés dans l’anthropocène – ère où l’activité humaine exerce pour la première fois de son histoire une influence prépondérante sur son milieu naturel – qui initierait dans les prévisions communément admises un risque de planéticide et donc de 6ème extinction. Autant les 5 extinctions avant l’arrivée des hominidés sont évidemment étiquetées naturelles, autant celle qu’on nous promet est taxée d’artificielle et par conséquent  évitable. Cette conviction tient au fait que l’homme se considère au-dessus de la nature comme une espèce à part, eu égard au développement de son intelligence et de son ingéniosité qui ont engendré une maîtrise, avantageuse pour lui, de la nature dont il s’est extrait. Cette croyance en sa supériorité a été entretenue depuis la nuit des temps historiques jusqu’à aujourd’hui par de multiples positionnements notamment religieux et philosophiques confortant un sentiment d’orgueil démesuré (exemples les plus connus de l’incitation à la possession de la nature : la Bible, Descartes ). Et ce ne sont pas les quelques voix discordantes, inaudibles aux oreilles dressées pour la flatterie, qui sont susceptibles de corriger ce lieu commun. Exemples d’exhortations à l’humilité : “L’action des hommes sur la nature n’est pas autre chose que l’action animale mais dirigée par une intelligence progressive, par la science “(BAKOUNINE). 

“Presque tous ceux qui ont écrit sur les passions et la conduite de la vie paraissent concevoir l’homme dans la nature comme un empire dans un empire. Ils croient que l’homme trouble l’ordre de la nature plutôt qu’il ne la suit, qu’il a sur ses actes un pouvoir absolu, qu’il n’est déterminé par rien d’autre que lui” (SPINOZA).  

Vulnérabilité lexicale. 

Grâce ou à cause du risque écologique,  l’exhumation et la mise au goût du jour de ce paradigme peu partagé bouleversent pas mal d’idées reçues et dès lors commandent de s’interroger sur ses résultantes hypothétiques mais plausibles et de commencer par apporter quelques correctifs langagiers (‘Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde” [Camus], mal dire a donné d’ailleurs malédiction ) . Eviter de substituer à “nature” le mot “environnement” qui connote une distanciation certes proche mais pas assez pour annihiler l’idée de séparation qu’elle contient, alors qu’il est question ici d’insuffler  la notion d’intégration et d’union, comme le proclame avec force le slogan de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes “Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend “. Comme il serait ridicule de suggérer que le corps est l’environnement du bras ou le pommier celui de la pomme, considérons l’homme comme un élément de la nature avec laquelle il forme un tout indissociable. Et donc fort logiquement, si on part de cet axiome, on ne peut que conclure à la naturalité des productions humaines, quelles qu’elles soient, bonnes ou mauvaises à nos yeux. 

Hitler éternel. 
Antinomiques dans notre conception occidentale, le bien et le mal apparaissent complémentaires dans d’autres  civilisations, à l’image du jour et de la nuit ou du chaud et du froid. L’un n’existe pas sans l’autre. Dans le livre “L’âge de la connaissance”, Idriss Aberkane relève que la molécule à l’origine de la suave fragrance du jasmin donne à forte dose une inimitable odeur de WC, de même pour la saveur du massepain qui correspond à celle du cyanure pur. Et d’en conclure “Si le bien et le mal sont mêlés ainsi dans la science des arômes, imaginez à quel point ils doivent être entrelacés dans le comportement collectif de l’humanité “? Le mal, défini comme tel par notre conscience dans l’ignorance des Desseins Supérieurs et que nous nous devons de sans cesse combattre, ne donne-t-il pas un ou tout son sens à la vie ? D’ailleurs la récurrence des guerres et des conflits, aussi naturels que des 
éruptions volcaniques ou des tremblements de terre, plaide en faveur de leur légitimité et crédibilise l’existence de tous les Hitler passés, présents ou futurs. Tout dans la nature est recherche d’équilibre par le comblement des manques et le rabotage des excès. L’amplification actuelle, à nos yeux chaotique, du déséquilibre écologique n’altère en rien sa naturalité et ne révèlerait en fait qu’une accélération du processus  d’harmonisation. De passagère, ponctuelle, conjoncturelle avant, cette dérégulation se veut aujourd’hui permanente, universelle, structurelle. Dès lors sont réunies les conditions objectives d’une déflagration endogène totale, à l’opposé des peurs ancestrales d’une eschatologie aux causes imaginaires, superstitieuses, religieuses ou surnaturelles.

Le langage des cycles. 

Pourquoi décréter, en dehors de cette incapacité à s’autoréguler,que l’Humanité est arrivée naturellement en bout de course à ce moment de son histoire ? Même si l’imprévisible peut perturber profondément les schémas établis et imposer sa puissance comme Nassim Nicholas Taleb l’a si bien décrit dans son livre “Le Cygne noir” (illustration récente en politique dans l’accession au pouvoir de Trump, Bolsonaro, Salvini, et autre Johnson, cassant les codes électoraux classiques ), il n’en reste pas moins vrai que nous sommes régulés en permanence par une multitude de cycles, notamment le plus important : celui de la naissance, du développement et de la mort, et que les civilisations n’échappent pas à la règle. Jusqu’à présent leur disparition n’affectait que leur aire d’expansion, épargnant les zones hors de leur influence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec l’uniformisation  civilisationnelle mondiale qui se profile à un horizon pas si lointain et qui entraînerait dans sa chute l’Humanité entière. C’est d’autant plus inquiétant que c’est la civilisation occidentale à dominante technoscientifique, pionnière dans la fabrication et de l’utilisation de la bombe atomique, qui fédère de facto autour de son modèle matérialiste les autres civilisations à composantes plus spirituelles. Que d’occasions galvaudées par le passé pour rapprocher les civilisations entre elles et apporter plus de conscience à la science ! Une de plus aujourd’hui avec la mondialisation ; sans doute la dernière, car, comme l’extension de la culture bourgeoise s’est traduite chez nous par la disparition de la culture populaire, le mode d’expansion monopolistique de la pensée occidentale interdit toute cohabitation durable.  

Et se font jour les signes (subjectifs certes, mais…) de l’amorce du cycle de son achèvement et du retour à son origine comme si la boucle était bouclée dans différents domaines. Géologique d’abord, dans cette menace de changement climatique qui, à terme, génèrerait le recouvrement de la terre par l’eau ou l’extension des déserts, comme à sa genèse. Biologique ensuite, dans ce retour en force, après un répit catalogué de définitif par une médecine triomphaliste qui ignore le doute, de la bactérie ou du virus qui marquerait la victoire de l’unicellulaire originel sur l’hypercellulaire sophistiqué : l’homme, au capital immunitaire érodé par trop d’emprunts médicamenteux. (N’est-il pas symbolique le nom de simples donné aux plantes médicinales dont l’utilisation remonte à la nuit des temps ?). Historique et géographique enfin, dans la succession chronologique et spatiale des grandes civilisations humaines. Née en Orient, la civilisation, dans ses phases marquantes, s’est déplacée d’Est en Ouest ( curieusement à l’opposé de la rotation de la terre) pour se fixer autour de la méditerranée occidentale (Grèce, Rome) avant de progresser le long de la façade atlantique de l’Europe (Espagne, Portugal, France, Angleterre…), puis de l’Amérique (côte est) pour aboutir actuellement dans le Pacifique (côte ouest des Etats-Unis, Japon, Chine). C’est un peu comme si, dans une linéarité exemplaire, l’Histoire avait laissé à chaque civilisation le temps d’étaler ses richesses et de révéler ses médiocrités. Pourquoi permettrait-elle un second tour de piste dès lors que le retour à la case départ, l’Orient, avec les futurs leaders de la planète : la Chine et l’Inde, laminés par la mondialisation, ne s’accompagnerait pas d’une originalité régénératrice. 

Homme =animal humain.

L’homme ne fait-il pas partie intégrante de la nature, au même titre que le minéral, le végétal ou l’animal? La théorie de l’évolution avalise l’animalité de l’homme. À l’opposé des créationnistes qui sont à l’espèce ce que les suprémacistes sont à la race, les antispécistes revendiquent notre pleine et entière appartenance au règne animal au point de nommer l’homme: l’animal humain et l’animal : l’animal non humain. “On n’est pas des bêtes quand même ” proteste-t-on généralement comme pour échapper à une infâmie. Eu égard au développement de notre cerveau et de nos facultés mentales qui constituent à nos yeux une avancée remarquable, nous nous sommes attribué le mérite de monter(!) d’un échelon dans l’échelle évolutive et de créer une catégorisation nettement différenciée de la précédente. Cette supériorité étalonnée n’oblitère cependant en rien notre naturalité. Ce serait un peu vite oublier les lois de l’évolution.

Fustiger le comportement antinaturel de l’homme au prétexte que l’intelligence humaine et sa production n’appartiendraient pas au même ordre des choses, est aussi absurde que reprocher le vivant du végétal par rapport au minéral ou la mobilité de l’animal par rapport au végétal. 

La physionomie de la nature a varié en fonction des évolutions et de leurs interprétations. Face à la presque sacralisation du profil des premiers temps d’une nature sauvage, spontanée, harmonieuse, non exempte cependant de tourments climatiques ou géologiques profonds, ses variations successives suivantes ne pouvaient être que minorées et même dévalorisées au point de considérer, aux yeux de certains, que sa lente et progressive dégradation s’est opérée dès l’amenuisement des chasseurs cueilleurs nomades concomitant avec les débuts de la sédentarisation et de la “domestication” du minéral (métallurgie), du végétal (agriculture) et de l’animal (élevage). Dégradation accentuée ensuite par le développement des techniques afférentes à leur exploitation et à d’autres usages, particulièrement accélérée à la révolution industrielle et surtout ces 50 dernières années, avec pour conséquences son délabrement actuel et le risque  d’une éventuelle 6ème extinction commodément étiquetée artificielle. Il ne s’agit pas ici de se quereller sur des mots dans un formalisme spécieux, mais bien d’en dégager les multiples implications qu’ils sous-tendent. Artificialiser la menace demande nettement moins d’engagement pour la conjurer que de la “naturaliser”. En effet pour ses apologistes, il s’agit ici d’un accident de parcours qu’ ils cherchent à corriger en gardant les mêmes schémas de pensée qui l’ont engendré, c’est-à-dire encore plus de technoscience, la plus verte possible pour entraîner l’adhésion générale, avec en ligne de mire le transhumanisme et l’immortalité ou au moins le prolongement démesuré de la vie et donc de la civilisation attenante. On est loin de l’inéluctabilité de notre condition de mortel acceptée par les “naturalistes”qui essaient d’intégrer des lois fondamentales des subtils équilibres naturels et notamment celle douloureuse mais nécessaire disparition des espèces.

La mécanique souveraine.  

 “On ne respecte la nature qu’en lui obéissant”. Encore faut-il savoir décoder ses injonctions cryptées. La tornade désobeirait-elle quand elle détruit tout sur son passage alors que la douce brise s’y soumettrait? Évidemment non puisque leur impulsion est purement mécanique. Preuve en est la capacité prédictive des météorologues de leur parcours et de leur durée traduisibles bien à l’avance. Dans le même registre se rangent le résineux qui exclut toute cohabitation en stérilisant le sol couvert par ses épines et  le réseau solidaire des transmissions d’informations des arbres , insoupçonné jusqu’à il y a peu (cfr “la vie secrète des arbres” Peterr Wohlleben), ainsi que l’exclusion des oies grises par les oies blanches regroupées pour lutter contre le froid et le soutien par ses congénères de l’éléphant blessé.  Quelles leçons l’homme peut-il tirer de ces exemples contradictoires pour essayer de se conformer aux lois de la nature? Lui aussi capable de faire cohabiter sous le même toit le fabricant de la mine antipersonnelle qui arrache la jambe et celui de la prothèse qui s’y substitue. Lui qui, par la grâce (!) de son intelligence, est sorti de ces mondes mécanistes sans choix possible mais aussi sans dévoiement pour entrer dans celui de l’initiative personnelle et de l’innovation permanente mais aussi d’autant d’erreurs et de trahisons potentielles. A-t-il désobéi en exploitant les ressources infinies de la connaissance tant positive que négative du moins à nos yeux? “Ce qu’il y a de plus contraire à la nature est encore nature. Qui ne la voit sous toutes ses faces, n’en voit bien aucune…..on obéit à ses lois même en leur résistant ; on agit avec elles-mêmes en voulant agir contre elles.” (GOETHE)? Donc aucune transgression possible, comme dans les actions mécaniques citées plus haut. 

L’intelligence constitue peut-être le prongement de l’instinct avec en plus le leurre de l’autonomie. Auquel cas s’équivaudraient le suicide collectif instinctif et non élucidé d’animaux se jetant du haut d’une falaise ou s’échouant sur la plage et celui “intelligent” de l’homme. N’a-t-il pas été programmé pour devenir son propre prédateur et, arrivé à un degré de saturation, s’autodétruire grâce à ce cadeau empoisonné qu’est l’intelligence ? Ou, comme le suggèrent les tenants de la théorie Gaïa, pour permettre une autorégulation de la Terre, organisme vivant, qui cherche à recouvrer la santé par l’excrétion de son cancer ?

  La nature sans opposition   

La nature est totale, indivisible, omnipotente omniprésente, intemporelle, sans contraire; donc ni l’artifice, ni la culture, ses antonymes habituellement cités, ne lui sont opposables, elle les englobe comme produits d’un de ses composants: l’homme. La ville est aussi nature que la fourmilière, le plastique autant que le bois, le sucre chimique  autant que le miel. Tous sont façonnés à partir de ressources naturelles à leur mesure. On exonère l’animal de toute erreur ou faute à cause de son déterminisme instinctif souverain et permanent qui oblitère la possibilité de choisir. On reconnaît aussi à l’homme un déterminisme inné, partiel, susceptible d’être amendé ou même nié par sa faculté mentale d’opérer des choix. En dépit de ses exigences drastiques et parfois impitoyables, la nature connote le vrai et l’artificiel le faux, malgré ses apports de vie facilitée et plus confortable. La “tromperie” de l’artificiel tient donc non à son essence mais à sa complexité due aux manipulations, transformations, concentrations et autres recompositions. Artificiel traduit dès lors une nuance de faible intensité de naturel, d’importance variable selon son degré d’éloignement de la norme de pureté, en quelque sorte un naturel minoré. La soi-disante artificialité de ses avancées scientifiques et techniques est en fait toute naturelle puisque le produit d’une intelligence originelle. 

Les sciences exactes sont en fait des sciences naturelles dont on a déchiffré le code crypté qui, dans une sorte de cycles à la carte, valide la répétition illimitée d’une  mécanique (encore!) reproductible assurant, avec une certitude sans faille, des résultats toujours identiques. Les sciences humaines, sous le masque de singularités originales, cachent aussi des invariants stéréotypés de tares affligeantes comme ces bouquets de “plus jamais ça”, “ça va changer”, “la der des ders” qui fleurissent en politique, en économie, en histoire et qui se fanent irrémédiablement dans une stérilité conclusive, mais aussi, heureusement, de sentiments bienfaisants comme des appels réitérés à plus de justice, de solidarité, d’égalité qui trouvent sans cesse des contingents de volontaires prêts à s’engager. Suivant l’exemple des antispécistes qui disent animal humain pour homme, nous devrions mettre en exergue la naturalité globale de notre univers par des formules du genre :”mort naturelle par accident de voiture”, “apprentissage naturel par intelligence artificielle”, “sciences naturelles exactes ou humaines ou appliquées”. L’art lui-même est nature” affirmait Shakespeare dont l’insistance marquait bien la difficulté à faire admettre que ce domaine, sans doute le plus imaginatif qui soit, s’assimile lui aussi à la réalité naturelle. 

Typologie de l’intelligence. 

La grave maladie dont souffre l’Humanité est-elle incurable pour déboucher inéluctablement sur son extinction par excès de civilisation productiviste et consumériste, initiée et montée en puissance par une intelligence débridée? Rejetant, comme dit au début du texte, un fatalisme démobilisateur, le doute devrait nous tarauder eu égard à l’expérience millénaire des moyens mis en oeuvre pour apprivoiser ce qui nous apparaît, sans doute à tort, les dérives de la nature.  Mais ici l’exceptionnel de la situation exigerait une intelligence, “accusée” sous réserve de liberté réflexive d’être responsable du risque d’implosion, en capacité d’appliquer une médication à la hauteur des enjeux.

C’est peut-être lui accorder trop d’honneur si on en croit Einstein: “Les lois de la nature dévoilent une intelligence si supérieure que toutes nos pensées humaines ne peuvent révéler face à elle que leur néant dérisoire”. 

Se poser la question du pourquoi de l’importance accordée au mental dans le cadre de l’évolution est accessoire, car frappée de la certitude absolue d’absence de réponse convaincante. Contentons-nous d’hypothèses plus aléatoires les unes que les autres comme celle de la disparition du corps, consistance physique devenue obsolète et inutile, au profit d’un esprit et d’une conscience désincarnés (l’Oméga de Teilhard de Chardin) ; ou celle du talon d’Achille d’une espèce qui, après l’élimination de tous ses prédateurs, s’est forgé elle-même l’instrument de sa propre destruction dans le respect inconscient des équilibres naturels ; ou encore celle de l’illusion de sa puissance prométhéenne qui ne peut déboucher que sur un échec cuisant et l’amener peut-être à s’amender, se tempérer et s’assagir… avec le sursis du temps. 

Beaucoup plus intéressante est la question de la typologie de l’intelligence pour en cerner le cœur et les contours et ainsi en tirer le meilleur parti. On peut la catégoriser en trois secteurs (3 : le chiffre de la complétude?). Orientée vers le corps et notre côté animal, elle sera qualifiée d’instinctive, d’intuitive, de sensitive, d’émotionnelle ; avec la conscience en point de mire et notre versant divin, elle sera spirituelle, sensible, raisonnable, poétique ; tournée sur elle-même et sur l’homme, elle sera mécanique, logique, rationnelle, réfléchie. C’est cette dernière qu’on met toujours en avant pour s’enorgueillir des progrès humains, réels pour certains mais au prix de dysfonctionnements et de déséquilibres qui sont en train de causer notre perte. Admettons humblement notre animalité originelle, recherchons avec envie le plus d’instincts positifs possibles perdus au cours de notre route évolutive et délogeons tous ceux coincés dans notre cerveau archaïque par la faute d’un cortex étouffant. Seul son adossement à l’innocence de l’instinct et à la sagesse de la conscience ( situés aux deux extrémités d’une droite virtuelle se rejoignant dans leur efficacité à garder le sens de la mesure et à ne pas se tromper, comme la folie et le génie le font dans la démesure, prise dans le sens d’intensité et non de jugement de valeur) luipermettrait éventuellement de fondre toutes ses avancées dans une Synthèse majuscule harmonieuse. 

Pierre Crombez 

Seules des catastrophes affectant durablement les nantis imposeront le changement indispensable à notre survie.

Réincarné en auteur de B.D. réaliste (pas difficile pour lui : 
c’est la porte à côté), Hergé n’aurait plus aujourd’hui à projeter 
son imagination dans les astres comme dans “L’Etoile 
mystérieuse” pour prophétiser la fin du monde et l’annoncer par 
l’entremise d’un illuminé; il lui suffirait de jeter un regard à 
peine éclairé et de prêter une oreille même vagabonde aux 
innombrables informations fournies par les scientifiques, les 
écologistes, les naturalistes avertis pour accumuler les preuves 
tangibles d’une telle éventualité, réduire le mystère de ses causes à 
l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette et composer une 
chronique illustrée d’une mort annoncée, certes relevant du 
domaine de la croyance, mais tout à fait crédible et accessible à 
un public de 5 à 95 ans (eh oui, la fourchette s’est allongée, 
précocité et longévité obligent).

Zéro de conduite. 

Même conscient de sa responsabilité, l’homme a-t-il pour 
autant les ressources, les capacités, la volonté, bref les moyens de 
s’opposer à cette dérive ? Je ne le crois pas. Les seuils de tolérance 
équilibrante sont à ce point largement dépassés dans tant de 
domaines vitaux, les réactions correctrices si ténues et si frileuses, 
l’attachement si fort à son mode de vie (“non négociable” aux 
yeux des Américains et si peu modulable pour les autres 
privilégiés) que l’on voit mal comment la tendance pourrait 
s’inverser en profondeur pour susciter un sursaut salvateur. Si des 
millénaires de civilisations n’ont pas réussi à assagir l’homme par 
une adhésion active aux si nombreux messages et exemples 
vertueux dévoilés tout au long de son histoire, ce ne sont pas les 
décennies à venir qui le convertiront, sans doute de plus en plus 
matérialistes, marqueurs de l’évanescence d’une vie de labeur
récurrent avec trop peu de compensations, du désengorgement 
de frustrations accumulées depuis toujours et chez les aspirants à 
la prospérité, du désir constant d’imiter cet anti-modèle. Inviter à 
renoncer à la concrétisation enfin palpable d’une aspiration qui 
vient de la nuit des temps et à convoquer en urgence une 
spiritualité de moins en moins présente et prégnante et pourtant 
ferment indispensable à l’émergence d’ une conscience collective, 
relève d’une méconnaissance anthropologique ou d’un mépris 
ontologique. 
Le monde va à la catastrophe. Malgré ou à cause de la 
multiplicité des lanceurs d’alerte de tous horizons le serinant dans 
toutes les langues et sur tous les registres, cet avertissement en 
l’absence de dommages probants et spectaculaires proches s’est 
figé en lieu commun inoffensif ou en prophétie banalisée, à la 
manière d’un automobiliste qui, dans l’ignorance des appels à la 
prudence et sans signaux modérateurs, s’enhardit à rouler la nuit 
de plus en plus vite et, alors que la portée des phares reste 
constante, se met dans l’incapacité d’anticiper le danger. Et c’est 
seulement en cas d’accident grave aux conséquences irréversibles 
qu’il cessera, contraint, de se conduire en irresponsable. De 
même seules des catastrophes majeures altérant en profondeur 
son intégrité physique, matérielle ou environnementale (des 
Tchernobyl ou des Fukushima même à répétition, trop ponctuels 
dans le temps et l’espace, ne changeront pas la donne) feront 
émerger l’humanité de son inconscience coupable. 
Horrifiés par le suicide kamikaze du pilote allemand qui en projetant volontairement son avion sur une montagne a provoqué la mort de 150 personnes, les privilégiés aux commandes de l’appareil Terre, bien calfeutrés dans le cockpit, 
sourds aux avertissements des contrôleurs conscients du danger 
de la route suivie par trop périlleuse et insensibles aux cris des 
passagers lucides qui, impuissants, tambourinent à leur porte les 
suppliant de changer de cap pour ne pas les entraîner dans leur 
chute déjà bien amorcée, ne se rendent pas compte, enivrés par 
leur supériorité prospère, qu’ils dupliquent à échelle mondiale ce 
scénario tragique. 

L’inefficace pédagogie du catastrophisme. 

Il ne s’agit pas ici d'(ab)user du catastrophisme comme outil pédagogique aiguillonné par le sentiment de peur pour tenter de rendre vertueux le comportement débridé des nantis que nous sommes, principaux responsables du délabrement planétaire . N’est pas Cassandre qui veut, généralement étiquetée à tort prophétesse de malheurs imaginaires, alors que ses prédictions se trouvaient confirmées par la réalité qu’on se refusait même d’entrevoir. Je souhaite ne pas faire partie, avec mes déclarations alarmistes, du cercle de ses disciples. Or la radicalité des mesures à prendre pour conjurer la menace de notre effondrement n’est pas audible pour l’ensemble des pays riches. Si on accepte bien de modifier des habitudes mineures,  pas touche à l’essentiel : continuer à consommer tous azimuts, encouragé par tous les laudateurs, si nombreux dans les sphères de pouvoir et d’influence, de la croissance, garante à leurs yeux de prospérité, dont les excès seraient soi disant canalisés par les promesses de solutions techniques salvatrices: dépollution, recyclage… Comme si de petits moins de gaspillages et de petits plus d’économies, selon les recommandations serinées sans cesse aux oreilles de tout un chacun, suffisaient pour restaurer l’équilibre perdu! La forêt aura cent fois le temps de brûler avant que des millions de colibris (pour reprendre la métaphore chère à Pierre Rabhi) n’aient déversé l’eau contenue dans leur bec pour éteindre l’incendie. Loin de moi l’idee de dénigrer les mouvements citoyens qui ont le mérite d’essayer d’éveiller les consciences et d’inviter à poser des gestes responsables. Mais l’ampleur et l’urgence “climatiques” imposent un changement d’échelle et une refonte holistique de notre système obligatoirement orchestrée par nos dirigeants en concertation mondiale, qui rechignent, on les comprend, à imposer des mesures impopulaires défavorables à leur situation. En effet dans nos régimes démocratiques, le culturel précédant généralement le politique , il faut que les tendances lourdes de la société soient suffisamment explicites pour les inciter à voter des lois propices au bien commun. Or que constatons-nous ? Si la prise de conscience, première étape de la démarche de sensibilisation, semble assez répandue ou en tout cas en bonne voie de l’être, par contre la conviction d’un engagement nécessairement fort et douloureux, deuxième étape,  n’est partagée que par une frange de la population. Que dire alors de la troisième étape, à savoir son application efficiente dans le quotidien ou au moins sa gestation? On ne se trompe certainement pas en réduisant le nombre de ses adhérents à la portion congrue. En effet il y a loin de la coupe aux lèvres. Se contenter de boire l’eau claire de la simplicité alors qu’on a été biberonné depuis des décennies au lait crémeux de la sophistication, et en plus, pour que cette démarche volontaire ne soit pas ressentie comme une punition ou une pénitence insoutenable dans la durée, y prendre goût, comme le suggère Pierre Rabhi dans son livre “La Sobriété heureuse”, exigent une force d’âme et une détermination peu communes, même de la part des sincèrement convaincus . L’amélioration de l’être grâce à la diminution de l’avoir.

L’éducation : des bouteilles consignées à la mer!

Devant la difficulté d’une remise en question aussi pénétrante de son fonctionnement intérieur, véritable tremblement de terre de ses fondations, des incitants extérieurs s’avèrent indispensables et en premier l’éducation que tant de voix appellent de leurs voeux ?  Encensée il y a 150 ans par le célèbre écrivain britannique H-G Wells qui prophétisait : “L’avenir? C’est l’éducation ou la mort!”; formule péremptoirement tranchante relativisée dans le tracé de ses limites par le remarquable écologiste américain Aldo Léopold qui, dans les années 40, affirmait:” Ce qu’elle apprend à voir d’un côté rend aveugle de l’autre”. 
Ne serait-elle pas comme des messages-guidances insérés dans des bouteilles lancées à la mer depuis la terre ferme à l’adresse de 
bateaux anonymes et supposés dérivants ? Réussite des plus 
aléatoire, car soumise aux turbulences et immensités marines 
limitant les chances d’approcher l’embarcation en péril dont 
l’équipage, même en possession du document, s’en désintéresse 
dans l’ignorance de sa dérive, surtout à cause de la multitude de 
messages fallacieusement rassurants réceptionnés en permanence, 
ou si, conscient de sa perdition, ne parvient pas à le décoder ou 
n’en saisit pas la portée exacte. 
Privilégions-la quand même pour ceux qui n’auraient pas eu 
la chance – et ils semblent nombreux – de naître avec la grâce 
“divine” du contentement du peu ou de se l’approprier avec le temps.
Qui va dans ce jeu de rôle incontournable s’investir dans
le personnage du médecin de l’âme et tenter d’appliquer la 
médication ? 
L’école autosatisfaite de la raide application de ses programmes stéréotypés? La famille  éclatée et intimement imbriquée pour la plupart dans un quotidien laborieux et dans le consumérisme dévastateur ? Les médias à la communication pléthorique qui noie le prioritaire dans un océan de superficialités désarmantes? Les associations et mouvements humanistes ou écologistes aux moyens trop limités pour diffuser leurs messages ou percoler leur attitude exemplaire au plus grand nombre? L’église discréditée par la perte d’autorité accumulée au cours des siècles?    Comme toutes les généralisations, la mienne est abusive et ne reflète pas les différents courants qui la traversent. Cependant ces raccourcis faciles donnent la tonalité dominante, même si des notes discordantes se font entendre et corrigent peu ou prou cette homogénéité de façade qui n’augure pas beaucoup de potentialités à apporter ce supplément d’âme qui fait défaut à ceux qui en auraient besoin pour ancrer leur conviction dans l’action. 
Et même si l’éducation pesait plus lourd que mon scepticisme le laisse penser et faisait grossir les rangs des adeptes de la simplicité volontaire, comment imaginer qu’elle puisse faire contrepoids aux puissances d’argent qui séduisent les masses par leur promesse d’une vie facile accessible à tous grâce au confort matériel. 

Sortie de secours fermée de l’intérieur. 

La contrainte, forte d’obligations et ďinterdictions légales, pourrait-elle prendre le relais de la persuasion déficiente par carence éducative ? Passage de témoin improbable au vu des élections récentes qui ont proclamé vainqueurs, un peu partout dans le monde et même chez nous en Flandre, des nationalistes, des extrémistes de droite, des tenants d’un libéralisme doctrinairement productiviste, des antisystémistes, tous soucieux, sauf ces derniers imprévisibles dans leur trajectoire future, de brimer tout élan écologiste contraire à leur suprématie statutaire acquise ou promise, garante de la soi-disante pérennisation des privilèges engrangés. Votes-reflets des préoccupations sociétales d’une majorité qui n’a pas pris la mesure du danger, ni du lien intime et incontournable entre tous les secteurs d’activité et l’écologie qui à coup sûr les chapeautera à court ou moyen terme.
Comment exercer une influence prépondérante sur la classe politique ? Dans la rue comme à Hongkong qui a réussi à arracher à son gouvernement le retrait d’une loi scélérate grâce à une formidable mobilisation, étalée sur la durée, concomitante à  une perturbation de l’activité économique? Nous sommes loin du compte en ce qui concerne les manifestations “climatiques”, certes de plus en plus nombreuses et récurrentes, notamment des jeunes, ses fers de lance, même couplées à la grève des cours et aux admonestations véhémentes, parfois tournées en dérision honteuse ou en indifférence condescendante comme à l’ONU, de Greta Thunberg, initiatrice de cette contestation novatrice. Vestale des temps  modernes, elle s’est donné pour mission de raviver avec une candeur virginale émouvante le feu sacré, depuis trop longtemps assoupi, du temple de la sagesse et de confier à ceux de sa génération le soin de l’entretenir, tâche dont le résultat escompté laisse dubitatif du fait que, enfiévrés en permanence par le feu envoûtant de la surconsommation, ils n’ont pas ou si peu cherché à le maîtriser par ignorance de sa dérive incendiaire qui risque d’embraser l’humanité entière et donc se trouvent pour longtemps dans l’incapacité, faute d’apprentissage ďautonomie et ďébauche de détachement technologique, d’opérer le transfert salvateur revendiqué pourtant par leurs propres soins. 
Après cette litanie de potentialités endogènes plus ou moins avortées et même si on peut se féliciter d’avancées probantes dans certains secteurs, l’insuffisante métamorphose de l’ensemble nous oblige à conclure que la distance à 
parcourir pour l’atteindre n’a jamais semblé aussi grande et son 
inefficacité aussi décourageante, qu’elle reste cependant notre 
dernière étoile du berger avant extinction, notre ultime porte de 
secours avant fermeture définitive, notre bouée de sauvetage 
avant naufrage (biffer la mention inutile selon l’option choisie par 
chacun en fonction de la nature du désastre envisagé). Tant que les nantis (ailleurs on s’en fout ou on feint l’émotion) ne ressentiront pas dans leur chair et leurs biens les conséquences de leurs actes sous la forme de catastrophes exogènes durablement douloureuses, rien ne bougera suffisamment pour éviter l’anéantissement. Encore faut-il qu’elles surviennent avant que, parachevant l’oeuvre de destruction massive déjà bien avancée, elles ne transmutent , par une funeste alchimie, l’irreversibilité partielle et relative aujourd’hui en totale et absolue demain .

 
Pierre Crombez 
Un simple citoyen qui tente de devenir un citoyen simple.