PREHISTOIRE DE LA VIOLENCE ET DE LA GUERRE .

Grande défenderesse de l’homme de Néanderthal, Marylène Patou-Matis est l’une des plus grandes spécialistes françaises de cet hominidé. L’auteur a publié aux éditions Odile Jacob un ouvrage absolument fascinant : Préhistoire de la violence et de la guerre. Croisant les données de l’archéologie et de l’anthropologie, elle montre que si l’on trouve des traces de violence, notamment de cannibalisme, dès 800 000 av. JC, la guerre, elle, est bien plus tardive et liée aux grands changements qui ont accompagné le passage du Paléolithique au Néolithique. Cette étude incontournable est une plongée fascinante dans notre passé qui nous permet de comprendre que la guerre, contrairement à ce que la Doxa nous impose, est une invention toute récente dans l’histoire de l’homme. Les présupposés théoriques de Rousseau sont ici, et pour partie, validés archéologiquement.

Interview parue dans L’Incontournable Magazine

Vous venez de publier un ouvrage sur la préhistoire de la violence et de la guerre dans lequel vous expliquez que contrairement à ce qu’on peut imaginer, la violence et surtout la guerre sont récentes dans l’histoire de l’homme et semblent surgir à un moment clé de la préhistoire. Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion ?

Lors de mes recherches, j’ai constaté que très peu d’ossements humains du Paléolithique portaient des marques de violence contrairement aux squelettes plus récents du Néolithique. En outre, aucune peinture ou gravure pariétalene ne représentait des scènes de combats. Les premières traces de violence apparaissent vers 800 000 ans et sont associées au cannibalisme. Pratique qui peut être alimentaire, mais aussi liée à un rite funéraire ( endocannibalisme ) ou à un rituel sacrificiel particulier ( exocannibalisme ).

Loin de faire de l’angélisme naïf, vous faites également la distinction entre agressivité et violence. En quoi est-ce important ?

L’agressivité est présente chez tous les animaux, dont l’Homme. Elle est nécessaire à la survie, c’est une émotion innée. Par contre la violence est construite, culturelle.

Comment selon vous les peuples » pacifiques » du Paléolithique se sont mués en société guerrière ?

Les conflits semblent apparaître durant la période où les Hommes se sédentarisent, domestiquent les plantes et les animaux et changent de structures non seulement économiques ( de la prédation à la production, avec apparition de surplus et de biens ) mais aussi sociales ( hiérarchisation,
apparition des inégalités, des castes – notamment celles des guerriers et des esclaves – et des élites, … ). Ils deviennent fréquents à partir de 6 500 ans avant le présent. Mais ce n’est qu’à partir de l’Âge du Bronze, avec l’apparition des armes en métal, que la guerre s’institutionnalise.

Pour revenir au cannibalisme, vous distinguez exo et endocannibalisme. En tant que pratique violente elle peut apparaître comme en être au stade ultime. Toutefois il apparaît que cette forme de violence disparaît peu à peu avec l’avènement de la violence » moderne « , est-ce le cas ?

Le cannibalisme, surtout l’endocannibalisme, a perduré longtemps dans de nombreuses sociétés. Il est vrai cependant qu’il disparaît avec l’avènement des sociétés modernes ( à quelques rares exceptions ). La guerre a peut-être remplacé cette pratique, bien qu’actuellement certains groupes en conflit pratiquent le » cannibalisme de terreur « .

Pour faire écho à votre Le sauvage et le préhistorique, pourquoi faut-il forcément que nos ancêtres ( des plus lointains aux plus récents ) soient archaïques et violents ? Il suffit de regarder la production artistique sur le sujet ( films, romans, bandes dessinées ) ou encore se référer aux dogmes religieux ou scientifiques ( en psychanalyse par exemple : l’homme et son animalité refoulé ) pour comprendre que cette idée a envahi tous les champs de la réflexion.

Cette image d’un Homme préhistorique violent est une construction de la seconde moitié du XIXe siècle qui perdura jusqu’au milieu du XXe siècle. Forgée par les anthropologues, elle fut popularisée à travers les magazines illustrés, les musées, les expositions universelles. Elle servait à justifier le concept » d’une évolution unilinéaire et progressive des sociétés » – les plus anciennes étant considérées comme plus archaïques que les plus récentes. La » violence primordiale » chère à Freud ( théorie du meurtre du père dans la horde primitive ) et René Girard sert encore d’alibi à nos débordements.

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